Le grindadràp

Publiée le 27/07/2015
Le grindadràp (grind) est la chasse aux baleines et dauphins, très ancré culturellement aux Féroé. J’ai pu assisté de loin à une telle pratique lorsqu’un bâteau a repéré un troupeau de globicéphale au large de l’île de Mykines (photo ci-dessus). Très polémique en France du fait des images spectaculaires publiées par l’ONG Sea Shepherd, il s’agit d’aller avec cet article au delà de la communication partisane, et de s’intéresser à l’histoire de la pratique et à comment les féringiens la perçoive.

Une technique de chasse



En randonnant sur Mykines, mes oreilles sont alertées par des bruits de cris et de tapement venus du large. Il sont originaires d’une petite embarcation avec à peine 4 ou 5 hommes dessus. Ces bruits se reproduisant régulièrement, je regarde avec plus d’insistance. Je remarque une tâche grise sur la gauche du navire et comprends qu’il s’agit d’un troupeau de globicéphale, une espèce de dauphin.


Mais c’est lorsque, une demi heure plus tard, un second navire rejoint le premier, que je comprends que j’assiste au début d’un grind. Les bruits réalisés par le premier navire consistaient à effrayer le troupeau et à l’empêcher de partir au large. Le second navire lorsqu’il arrive en trombe, contourne de loin les animaux marins, puis se positionne à proximité du premier bateau. Il exécute un va et vient et une sorte de ronde à plusieurs reprises. Il s’agit de dissuader le troupeau de partir dans une direction qui n’arrangerait pas les chasseurs, et probablement de faire diriger les mammifères dans le sens souhaité. Cette scène dure encore une bonne demi heure et ni les embarcations, ni les dauphins n’ont changé de place.


Puis arrivent un troisième, et un quatrième bateau. Ils se positionnent dans une sorte de V et font avancer les globicéphales en direction de l’île de Vagar. En effet, Mykines n’a pas de fjords avec une plage en fond de baie. De plus, il faut un certains nombres de chasseurs pour mettre à mort les bêtes, or l’île de Mykines ne comporte qu’un seul village très peu peuplé. Les îles Féroé comptent une grosse vingtaine de lieu d’échouage nommés Hvàlvagur(baies de baleine).


Le lendemain en revenant sur l’île de Vagar, j’ai pu constater le résultats dugrind : environ une soixantaine de carcasse dont la viande a été récupérée jonche les grèves de Sorvagur.

En ce qui concerne la mise à mort, une fois les animaux marins arrivés en fond de baie, il s’agit de les agripper avec des crochets et les tirer sur la plage. Une fois sur la plage, l’animal est mis à mort avec un long couteau réservé à cette fonction : le grindaknivur. Il est transpercé derrière la nuque au niveau de la colonne vertébrale. La mort est instantanée.


Une tradition

Les Féroé sont un archipel austère, au climat rigoureux. Jusqu’à la moitié du XXè siècle, peu de produits étaient importés. Il fallait donc être autonome. Or il ne pousse que pattates et rhubarbes. La chasse, la pêche et l’élevage de moutons sont donc des pratiques nécessaires à la survie des habitants. Le grind était donc un élément vital. Mais cette chasse revêt aussi d’autres aspects qui font qu’elle est une tradition encore si importante aujourd’hui.

Historiquement, les villages de l’île restent isolés les uns par rapport aux autres. Le grind est une pratique commune qui permet aux villages de regrouper leur force. C’est donc un acte de société qui soude des liens communautaires, d’ou un ancrage identitaire fort. Abondante, la viande est partagée d’abord entre les chasseurs, et ensuite avec les différentes familles de l’archipel. C’est donc également une pratique qui ouvre au partage. Quant au surplus, il est revendu. J’ai ainsi pu goûter un plat de pilot wheel à Torshavn dans un restaurant, qui offre ainsi de manière ponctuelle, les produits d’un grind.

Les points de vus, les parties

En France, la monopole de l’opinion est détenu par les médias et Sea Shepherd dont la figure de proue est Paul Watson. Les images sanglantes dugrind alimentent les émotions et le rejet d’une pratique barbare. On ne parle pas de chasse mais de massacre, ce qui sous entends la gratuité de l’acte. Lors de cette chasse du 23 juillet, plusieurs militants de l’ONG ont été arrété et passent pour des martyrs de la défense de la cause animale. Mais il est nécessaire de mettre en balance ce point de vu avec celui des acteurs, à savoir les locaux

Tee-shirt en vente au festival de musique G!

Beaucoup de féringiens, que ce soit des femmes ou des hommes qui m’ont pris en autostop, ou des jeunes que j’ai pu rencontré lors d’un festival de musique, s’estiment jugés négativement par leur pratique par le monde entier. Ils semblent inquiets de leur image et de celle de leur île qui est loin de se limiter à cette chasse. D’autant plus que tous ne cautionnent pas cette chasse par sensibilité ou désintérêt. Ils se considèrent mis dans le même lot que les autres, ce qui les inquiètent d’après ce que certains m’ont confié. D’autres estiment qu’elle est un acte culturel très important et rentrent en défiance vis à vis de Sea Shepherd. Par ailleurs, certains conducteurs ne veulent pas s’arrêter me prendre en pensant que je suis membre de l’ONG. C’est donc un sujet sensible sur lequel les locaux ont besoin de s’exprimer (plus d’une personne sur deux m’a parlé d’elle même du grind, savoir ce que j’en pensais…). Quoi qu’il en soit, cette chasse est un acte d’une grande importance dans ce milieu insulaire, ou dès qu’un troupeau est repéré, certains arrêtent le travail pour y participer. Et elle est une fierté pour les locaux en étant vu comme un conservatoire de traditionnalité face à une uniformisation culturelle marquée par l’omniprésence des fast food.

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