Europe - Parce que tout est plus chouette, à bicyclette !

Publiée le 25/07/2019
Un article ça s'écrit la tête froide. Et tout particulièrement, ça ne s'écrit pas en période de galères, car sinon le rendu est très pessimiste et pas particulièrement objectif. Il m'aura fallut attendre 1 mois entier pour l'écrire celui là.. Ça en dit long !

Nous et nos montures

Leçon de vie numéro 1653

"Avoir les yeux plus gros que le ventre"

Combien de fois dans notre jeunesse on l'a entendu cette expression. Quand on commandait deux boules de glaces mais qu'on en mangeait qu'une ou quand pris d'une fringale à 15:00 on commençait à couper dans le sens de la longueur une baguette entière pour y enfourner tout ce qu'on trouvait dans le frigo.. Oui on la connaît tous cette expression, on sait qu'elle a un fond de vrai. Et puis on grandit, et ... 

on refait les mêmes "conneries" !       

 

Allez petit flash back.

 

Nous sommes donc arrivés frais comme des gardons en Europe, à Bucarest pour être précis. Il fait beau, il fait chaud, et malgré la distance certaine qui nous sépare encore de la France on observe déjà son influence: Brico dépôt, décathlon etc.. oui on sait, c'est un peu ridicule mais vous savez, après 9 mois à l'autre bout du monde on a tendance à s'accrocher à la moindre branche ! 

Toujours est il que les vélos ont été achetés rapidement. Le premier sur un marché, une seconde main venue d'Allemagne (probablement volé) et le second auprès d'un particulier après une mythique conversation franco/roumaine avec son propriétaire.

Tout excités à l'idée de traverser l'Europe nous en oublions presque de visiter la ville et de nous reposer de nos 20 heures d’avion. Après une demie journée à décathlon riche en apprentissage, (déjà deux fois qu’on cite la marque.. et dire qu’ils ont refusés de nous sponsoriser.. Notre bonté nous perdra) nous planifions le départ. Sur le papier, en dehors de la traversée de Bucarest, le plan du lendemain s’annonce facile : cap au Sud pour rejoindre le fleuve et récupérer la plus longue piste cyclable d’Europe qui nous emmènera directement à Nantes à travers le Danube, Le Rhin et la Loire.. Au programme du lendemain soir, camping sauvage au bord du Danube et pique-nique improvisé avec ce qu’on aura découvert sur la route.. On s’y voit déjà.

Et c’est ainsi que les difficultés commencèrent.

5:15 : voulant éviter le trafic nous décidons de partir à la fraiche, un petit déjeuner complet et l’aventure commence !

6:00: Pourtant changé la veille, le pneu avant du vélo de Clément est crevé et nous n’avons pas de pince pour desserrer les roues.. pas de panique..

6 :15 : Le gars de la réception que nous venons de réveiller nous prête son couteau fétiche, qui fait pince. On y croit !

6 :16 : La pince a cassé, son couteau est plié en deux… pas de panique !!!

6 :20 : Incroyable mais vraie, une autre pince trouvée dans les douches.. On se concentre on respire et ça va le faire.

_ « Tu sais comment changer une chambre à air ? »

_ « Bah oui bien sur !! »

6 :25 : _« Bon mets moi un tuto sur youtube pour être sur ! »

7:30: une pince cassée et des doigts tout écorchés plus tard nous prenons la route.. Le trafic est très dense et le soleil déjà bien haut. Il nous faut slalomer tant bien que mal entre camions, bus et autres.

17:00: 100 km (sans compter les détours après s’être perdus) et plus de 8 :00 de vélo plus tard nous débarquons dans la ville de Giurgiu qui ressemble à première vue à une zone industrielle géante. L’image du fleuve idyllique aux abords verdoyants et ombragés parfaits pour le plantage de tente s’effrite à la vue de cette gigantesque rivière odorante et brunâtre quadrillées par sa milice de chiens errants.. Le moral s’écroule. Nous prenons un hôtel miteux au prix exorbitant et mangeons notre purée en flocon et nos petits pois dans notre chambre. En silence nous calculons les kilomètres qu’il nous reste à parcourir. Plus de 3500 à priori… PAS DE PANIIIIIIIQUE !

Les jours suivants ne sont guère mieux: 

Le vélo de Malorie n'est clairement pas l’affaire du siècle, la selle n’est pas réglable, le dérailleur pas en forme et les pneus trop large.. Nous stagnons à 14 km/h de moyenne !

"_à ce rythme là on rentre en décembre tu sais.."    

En discutant avec un cyclotouriste nous apprenons que contrairement à ce qu'annonce le site officiel, la route que nous suivons ne fait pas 3600 km ... mais 4000 ..! Et bim 400 km de plus. Enfin, la plus grande "piste cyclable" d'Europe s'avère ne pas être une piste cyclable du tout entre la Roumanie et la Hongrie ... soit pendant 1500 km..

A moins que les camions ne roulent dessus ? Qu’en pense Elise Lucet ? Mais que fait l’équipe d’enquête investigation bordel !?

 

P-A-S D-E P-A-N-I-Q-U-E !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

Des moments comme ça où le mental est mis à rude épreuve

"La routourne elle va bien tourner" - Franck Ribery - interview d'après match

Oui la roue a bien fini par tourner. Nos jambes ont pris du volume, le vélo pourri a été échangé et les rencontres d’une profonde humanité ont commencé à peser dans la balance. 

A y bien regarder, le cyclotourisme offre une approche totalement différente du voyage. Une approche plus lente, moins agressive pour les locaux et donc plus humaine. Et la récompense est là; les situations plus incroyables les unes que les autres s'enchaînent pour notre plus grand plaisir. Comme cette fois où, notre camping n'existant pas, Monsieur le Maire d'un petit village est venu nous ouvrir les portes du stade pour planter notre tente. Puis ce fut au tour de l'entraîneur des jeunes de nous ouvrir les portes du vestiaire pour nous doucher. Ou encore ce Serbe qui, au beau milieu de la demie finale de Djokovic à Roland Garros nous emmène prendre l'apéro chez lui pour discuter avec sa femme enceinte de 9 mois qui parle le français. 

_"Vous partez demain matin? Bah venez prendre le petit déjeuner avant de partir." 

_"Oui enfin on part à 7:00.." 

_"Alors venez à 6:30!" 

Que ce soit avec les rares cyclotouristes croisés jusqu'en Hongrie ou avec les locaux, les rencontres toutes plus improbables les unes que les autres s'enchaînent. Le petit magasin perdu dans un village de 300 âmes au nom imprononçable abrite peut être une personne qui va bouleverser votre journée, changer vos plans, ou vous faire vivre un moment insolite. C'est ça le cyclotourisme, ce fameux mélange entre l’organisation et l’imprévu ; le doute et l’évidence, des moments de joie immense et de terribles coup de moins bien, des rencontres incroyables et sincères et de longs moments de solitude. Au fond c’est peut être son imperfection qui fait du voyage à vélo une expérience hors du commun.

Plantage de tente dans un complexe spôrtif
Le voilà notre camping improvisé au bord du Danube

Première personne du singulier

Et oui, sauf qu’il y a un paramètre que l’on n’avait pas pris en compte. Ce paramètre c’est l’approche du retour. Ce sentiment qui fait qu’à la fin de chaque voyage loin de chez soi, quand on sait le retour imminent, on ressent une petite jubilation intérieure que l’on essaie tant bien que mal de refréner. Ce sentiment de joie à l’idée de retrouver ses habitudes, ses repères, son chez soi.

Et autant vous dire qu’après 9 mois de vagabondage à l’autre bout du globe, quand on enfourche son vélo et qu’on se dit qu’au fond on est pas si loin de chez soi, ce sentiment peut rapidement vous ronger.

Et puis on a beau culpabiliser en se disant que l’on devrait plutôt profiter de l’instant présent, le sentiment reste. Il est là au fond de vous, et il grandi à la moindre déconvenue.

Le 40 Tonnes qui vous frôle à plus de 100 km/h, la ligne droite de 5 km sous un soleil caniculaire, l’attaque surprise d’une bande de sac à puce débraillés, les slaloms interminables entre les nids de cigognes asphaltés que les années de corruption politique n’ont jamais rebouchés…

Oh un avion…                 allez on pédale, on pédale !!

Ca va vite un avion …     pédale, pédale bon dieu !!

Combien de temps il me faudrait pour rentrer à Nantes en avion... ?

 

Et c'est dans ce contexte là que Malo a rejoint les siens avec un peu plus d’avance.

L'objectif n'étant pas la destination mais le chemin, elle a donc pris la sage décision de s'arrêter là. Son voyage à vélo à elle était terminé. Et ce après 850 kilomètres.. Une prestation particulièrement remarquable pour quelqu'un qui initialement, disons-le clairement: N'AIME PAS LE VÉLO !

Une rencontre exceptionnelle parmi tant d'autres

Rendez-vous en terres connues

Me voilà donc au beau milieu de Belgrade, à 3200 km de ma famille, de mes amis, de mon lit, de chez moi, de Malo.

On respire un bon coup… ! Et c’est parti !


Autant vous dire que ça pédale. 90, 100, 110, 120 kms ! On ne m’arrête plus. Les bornes jusqu’à Budapest sont avalés en moins de temps qu’il n’en faut pour dire « C’estquandqu’onarrive » !

Et c’est alors que la découvertes des 3 capitales, voisines de 300 kilomètres, que sont Budapest, Bratislava et Vienne sonne le glas de ma période de deuil. Les rencontres ne tardent pas à s’enchainer, et la beauté des monuments que j’observe redonne soudainement du sens à mon voyage. Mon cerveau se rebranche, mes muscles se décontractent.. On va calmer le jeu un peu désormais.

 

Le périple à travers l’Europe reprend donc de plus belle. Les pays rencontrés sont tous plus beaux les uns que les autres. Ma préférence se positionne clairement pour la Serbie. Ce pays situé au cœur des Balkans et de l’ex conflit communiste qui est la représentation parfaite de ce qu’un « a priori » a de mauvais.. La générosité et la bienveillance des habitants n’a d’égal que la beauté des paysages.

Les effets de la guerre de Yougoslavie se font énormément ressentir que ce soit dans l'économie du pays (250€ par mois de salaire) ou dans la mémoire collectif où pour nombre de serbes la "démocratie" installée (sous fond de corruption à tous les étages) ne rime pas forcément avec de meilleurs conditions de vie.

Traverser les pays à faible allure et observer leurs territoires, prendre le temps de discuter avec les gens; c'est autant de petites choses qui donnent au voyage à vélo cette sensation d'embrasser la vie d'un pays l’espace de quelques jours.

Les Serbes et leurs incroyables gentillesses, les suisses et leur politesse à toute épreuve, les bières slovaques, les ruelles colorées et étroites de l'Autriche et de la Hongrie ou encore le respect des règles à l’allemande et leurs portions gigantesque servies dans les auberges de Bavière. 

C'est autant de petits détails et de souvenirs qui font de cette traversée une réelle expérience de vie. 

 

Et puis tout à coup, sans même m’en apercevoir, je suis arrivé devant ce panneau qui marquait la frontière entre la Suisse et la France (dit il, alors qu'il comptait les jours). Une barrière invisible et abstraite et pourtant très concrète dans mon esprit. Comme une ligne d’arrivée, car bien que restant 1200 km, une fois cette frontière passée, tout serait d’une facilité enfantine. Mon esprit d’aventurier constamment en alerte devant l’inconnu depuis plus de 9 mois a soudainement lâché prise.

Et c’est ainsi que je me suis surpris à dire « Bonjour » à qui voulait l'entendre et même à ceux qui ne voulait pas d’ailleurs. C’est également ainsi que tel un somnambule retrouvant son lit machinalement je me suis retrouvé dans cette charcuterie en train d’acheter mon pot de rillettes. Ou à la sortie de cette boulangerie, les bras chargés de viennoiseries dont le beurre commençait déjà à traverser le sachet.

Toujours en mode pilote automatique je me suis même retrouvé en train d’acheter une boîte de conserve de tartiflette pour mon dîner du soir (ce qui, sans surprise, fut un échec gustatif).

 

Le pilote automatique enclenché, le sourire aux lèvres et les copains en renfort, les 1200 kms qui me séparaient de chez moi sont passés comme une lettre à la poste.


Et puis je suis arrivé devant ce panneau qui indiquait ma destination à 10 km. Une grande inspiration pour un ultime effort avant la chaleur du retour. Les jambes repartent, elles avancent toute seule. Mon cerveau bouillonne. L’île paradisiaque de Tioman en Malaisie, la folie des rues indiennes, la pêche record en Thaïlande, la nature sauvage vietnamienne, les glaciers néo-zélandais, la chaleur de l’Europe de l’Est voilà ce que je m’attends à revoir à cet ultime moment. Pourtant non, mes pensées sont ailleurs. Près d’ici. Tout près d’ici.

Et c’est à ce moment très précis que je prends conscience de la leçon numéro 1654, ultime leçon de ce merveilleux voyage…

Mais si vous savez, celle qui dit que..

 

« Finalement, on est pas si mal chez soi. »


                                                                                                                                                                

THE END

 

Séchage de chaussette improvisé
Les copains assurent les relais en fin d'étape
On rentre à la maison !!!!
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