La luz à Las Palmas

Publiée le 10/06/2025
La horde du contre-temps dans sa meilleure prestation ! :D

Carrefour maritime tricontinental entre l’Amérique, l’Afrique et l’Europe, Gran Canaria affiche une longue tradition de port d'escale auprès des navigateurs qui traversent l'Atlantique et mettent le cap sur les Caraïbes.(Une tradition qui vit le jour il y a 5000 ans déjà, lorsque Christophe Colomb commença à y mouiller ses navires avant de défier l'océan). Bon nombre en provenance du nord de l'Europe choisissent le port de plaisance de Las Palmas pour y établir leur base hivernale. Las Palmas est la plus grande ville des îles Canaries et forme l'une des dix zones métropolitaines les plus peuplées d'Espagne. On ne s’attend donc pas à vivre nos plus beaux moments de voyage dans cette capitale. Mais réputé pour être peu coûteux, c’était évident pour nous de nous y rendre afin d’y faire une courte escale récupératrice avant une traversée vers La Gomera, l’île parmi les 7 principales des Canaries qui nous attire le plus. 

50 nm. 4 à 5 BF NNE, au bon plein petit largue avec une mer agitée d’ 1.4m, ça mouillait un peu 💦 Il nous aura fallu un peu moins de 8h pour se retrouver à 5 nm du port de plaisance. Dans l’ensemble, c’était donc une affaire qui tourne. Mais sur les dizaines de mètres restant, les galères commencent 😅.

Les plus gros ports se situent en général sur les plus grosses villes. Celui de Las Palmas est “juste” le plus grand de l’archipel. Ainsi, outre le bassin de bateaux de plaisance, il y a en amont, le port de pêche et de commerce surnommé “puerto de La Luz”. Un pseudonyme qui lui va comme un gant si on le prononce à la française ! 😅 

Il est relié à 180 ports sur les cinq continents par une trentaine de lignes maritimes. Pas étonnant qu’en plus des bateaux de croisière qui s’amusent à tirer des bords dans l’avant port et des ferries à grandes vitesses (25 nds rien que ça  😱) assurant la liaison avec les autres îles des Canaries, des cargos de la taille d’un immeuble passe dans un sens et dans l’autre.  

Avec la plus grande vigilance, nous nous faufilons entre les navires de charge la plupart à l’ancre le temps qu’un bateau pilote vienne les escorter. À tout moment, l’un d’entre eux peut se mettre en marche et c’est bien évidemment ce qui se produit alors que nous évoluons désormais à 2, 3 nds à la GV seule dans le but de temporiser notre avancée. Un porte-conteneurs que nous avons dépassé 5 minutes plus tôt fonce droit sur nous et au même moment, un navire-citerne sort de La Luz ! Dans ce cas de figure, nous sommes obligés de renvoyer le gégé afin d’être plus manœuvrant. Nous voilà surtoilé à devoir tirer des bords dans un espace restreint pour éviter ces monstres flottant quant à eux, pas manœuvrant pour un sou et qui en aucune circonstance de toute façon, se verraient changer leurs trajectoire.

Notre stratégie fonctionne et nous nous en sortons avec brio ! Ouf !

Mais ce n’est pas terminé puisque devant la marina, nous réalisons que le vent nous fait face. La situation se corse et après quelques courtes minutes d’hésitation nous tentons le tout pour le tout. De nouveau à la grand-voile seule, nous entamons notre entrée au port. Nous n’avons plus beaucoup de vitesse, en conséquence de quoi, nous sommes soumis au vent et à la houle faisant dériver le bateau. La situation est stressante car dangereuse. Nous évitons une digue en changeant d’amure mais cette fois, nous perdons le contrôle de Yes Aï. L’accès est très étroit et lentement mais sûrement, il se dirige à présent vers l’autre digue. Nous cherchons à faire un empannage pour changer la trajectoire mais rien n’y fait, le voilà à 3, 4 m des cailloux. C’est dans ces circonstances que l’on peut se rendre-compte qu’un bateau ne tourne jamais sur lui-même. Il peut faire demi-tour mais continue d’avancer malgré tout. Maintenant à l’avant du bateau,  Marvin déroule à la main un bout de génois à contre mais ça ne suffit pas. Il saute finalement sur les blocs de roche et me hurle de choquer complètement la GV pour perdre un maximum de vitesse et limiter les dégâts. Et puis boom 😰 Yes Aï est échoué sur les cailloux ! C’est la cata ! À cause d’un manque à virer, nous n’avons pas pu éviter le danger et la carène est stricto sensu montée dessus. Nous sommes dans la confusion et le désarroi le plus total. Pas pour longtemps tout  de même. Des moniteurs de kayak et des plaisanciers ont vu la scène et viennent à notre rescousse. À l’aide de bouts attachés entre notre bateau et les leurs, nous sortons de notre piège et retrouvons les eaux de l’avant-port. À peine sortis de notre écueil, sonnés par ce qui vient de se passer, nous devons néanmoins réfléchir encore à ce que nous allons devoir faire sur-le-champ. Sans même savoir si cela est autorisé, nous choisissons d’aller jeter l’ancre derrière la marina, devant la plage de Las Alcaravaneras. Au moins le temps de reprendre nos esprits. 

Leçon du jour, Marvin écrira plus tard dans son journal : “Même dans une passe on ne peut plus étroite, ne jamais se priver de voile d’avant qui procure vitesse et manœuvrabilité.”

Nouvelle rassurante de bonne augure : nous découvrons sur Navily que le mouillage ici est accepté pour 24 heure en cette période de l’année. Nous allons alors pouvoir récupérer un temps soit peu de l’accident qui vient de se produire et revoir nos plans la tête froide et dans le calme. Marvin retrouve un peu de quiétude, sort de ses tumultes et rassure tout l’équipage que l’équipement est solide, conçu dans l’éventualité de recevoir des chocs. Le nôtre n’était pas si violent que ça et plutôt bénin. Comme on dit, “plus de peur que de mal”. C’est ce qu’il vérifiera le lendemain matin en plongeant sous le bateau. Pourtant, toujours abasourdis, nous retrouvons la terre ferme pour aller se restaurer. Nous l’avons bien mérité ! Lorsque l’on vit des péripéties comme celle-ci, manger n’est plus du tout une nécessité mais devient radicalement une soupape de décompression 😅

Nous faisons nos premiers pas sur le sol Gran Canaria, Cahuète ses premières crottes 💩quand soudain pour couronner le tout, un homme d’une impressionnante carrure nous aborde avec un air acerbe. Il nous baragouine des mots en espagnols nous faisant croire qu’il était interdit de jeter l’ancre ici et de marcher ici. Nous voilà maintenant partis dans une virulente discussion au point que cet homme, visiblement, se retient de me sauter à la gorge.

En anglais je lui demande : “Mais vous êtes qui vous pour nous parler comme ça et nous donner des ordres ??”

Et il me répond : “ A member of the club !”

À cela , je l’invite à rester à sa place et lui dis que si notre présence ici posait problème, un employé du Real Club Náutico de Gran Canaria, à proximité duquel nous avons positionné notre bateau, viendra à notre rencontre pour nous chasser d’ici.

Chose dite, chose faite. Un autre homme chiquement vêtu d’un polo dont l'effigie du club est imprimé dessus, nous interpelle sévèrement mais déjà plus gentiment et nous avertit que nous ne pouvons pas nous promener sur ce lieu dont l’accès est privé. En revanche, il ne nous parle absolument pas d’une interdiction d’être à l’ancre ici … Nous retournons au kayak amarré à l’échelle du quai privé pour le contourner et accoster l’île en passant par la plage. Enfin sur terre, nous pouvons aller grailler un bout et étancher d’un coup de pizza nos saccagantes émotions.

Le lendemain matin, rebelote.. “Vous ne pouvez pas rester ici” nous affirment 2 gars du port venus à toutes allures en zodiaque. Nous leur expliquons notre situation, servons sans plus aucun scrupule l’excuse que nous avons un moteur en panne pour essayer de gagner une, deux voire trois nuits supplémentaires ici avant de prendre le bon vent pour partir vers La Gomera. Bingo pour 1 nuit. C’est déjà ça. Nos connexions neuronales sont un peu défaillantes et nous avons hâte de pouvoir enfin vivre des jours ou plutôt des semaines paisibles sans que plus personnes ne viennent nous faire ch… Mais au moins nous avons gagner un peu de temps pour prendre notre temps…

2 nuits au mouillage devant d’affreux immeubles cachant certainement un remarquable paysage montagneux et volcanique, nous levons l’ancre ce matin, mercredi 28 mai 2025. Mais pas pour aller très loin. Et oui, complètement fou ou complètement lucide je ne sais pas, nous réintégrons la compétition et retournons à l’affront de l’échancrure que forment les digues de l’entrée du port. C’est comme après une chute à cheval ou à vélo, pour ne plus avoir peur et rester traumatiser d’une chose toute sa vie, il faut s’y confronter de nouveau. Non pas pour effacer un mauvais souvenir mais pour en créer un nouveau plus joyeux et victorieux qui viendra pondérer, nuancer et reconcidérer le premier. Dans des conditions identiques à celles que nous avions eu 2 jours plus tôt, nous parvenons à pénétrer dans la marina muni cette fois du foc de route avec 2 arisés. Je ne vous explique pas dans quel état je me trouvais à ce moment-là mais fort est de constater que j’étais suffisamment opérationnelle pour répondre aux ordres assurés du capitaine et agir convenablement dans les 4  ou 5 virements de bord nous menant au premier ponton droit devant ! 

Les 2 jours suivants, nous n’avons pas la tête et le goût à visiter. Pour cela, il faudrait traverser l’agitation de la ville. Une fois suffit, au moins pour combler nos fonds de placard de vivres, autrement, aucunes sorties hors espace de la marina et de la plage. Nous nous réjouissons simplement d’être à quai, au calme, de pouvoir jouir de sommeil réparateur et profonds. Jouir de yoga dénouant efficacement nos cuirasses malmenées par les conditions de vie d’une part et par les agressions nerveuses d’autres part.

Une parenthèse délibérément organisée jusqu’à ne plus même prendre de photos. Une activité qui pourtant me passionne voir que l’on pourrait presque définir chez moi d’addictive ! 😄 En étant observateur, on trouve toujours de jolis clichés à faire, mais cette terre qui m’entoure, ronger ma la gangrène citadine ne m’encourage guère dans ce sens. Et en plus, mes règles sont de retour ! 🔔📕😂

Un couple voyage en bateau et se fait arrêter par la police maritime pour excès de lenteur. Qui paie l'amende ?

…. ⏱️…

Monsieur. Car Madame est toujours en règle !

Vendredi, nous reprenons le large. Assez de vroomm vromm et de tutute, nous sommes venus chercher la nature pas la “ville à la dure”.

Toujours dans le rouge, je suis dans le coaltar. Marvin prend alors l’entière responsabilité de nous mener à La Gomera. 105 milles en tout et pour tout. Non je rigole 😅 Mais dans les premiers milles, c’est lui qui assure toutes les manœuvres puisque mes seules capacités à l’heure actuelle sont de me tourner d’un côté et de l’autre sur la banquette tribord 😵 Finalement, il nous mènera jusqu'à Sardina del Norte par une arrivée de nuit soit 25 milles plus à l’ouest de Las Palmas.

3 à 4 BF établi, localement 1 à 5 d’Ouest à Est. Les variations de vent sont omniprésentes. Tantôt dans le nez, tantôt au cul, tantôt nul, tantôt 15/20 nds. En plus de prendre seul les commandes du bateau, le pauvre Marvin doit jongler avec les conditions instables et défiantes nerveusement. D’un point de vue positif, c’est une expérience délicate supplémentaire à ajouter dans son journal de bord et faisant surtout de lui un marin hors pair ! 👏

Il semblerait que le vent prenne ou bien la trajectoire du trait de côte, écrit-il, dans une direction ou l’autre, ou bien il rebondit sur celle-ci et ses montagnes ce qui aurait pour effet de revenir en boomerang face au vent de mer et de créer par la même des poches de pétole.

Sur la route vers Sardina del Norte

Toujours est-il, nous sommes ce soir au mouillage devant la plage par 10 m d’eau. Lui rincé par la nav, moi par vous savez quoi, nul besoin de le répéter 😇. Ce me concernant, jusque la journée entière du lendemain, lundi 30 mai. Décidément, mon inconfort à l’air de vouloir durer ! Est-ce franchement la seule raison de cet état 🤔. Je trouve tout de même un peu d’énergie dans la soirée pour aller mettre le pied à terre, histoire de voir à quoi ressemblent les lieux. Mon envie de poser une image sur les mots que me rapportent Marvin et les gémissements que me partage Cahuète 🐶🍗🦴🥩 est plus fort que tout.

Sardina Del Norte apparaît comme un village hors du temps et hors cadence effrénée, d’un monde ou des villes sortent de terre en quelques heures. Ici la vitesse ne semble pas dépasser le rythme des vagues qui atteignent le quai. Sardina est une enclave du nord de Gran Canaria qui n’est pas tellement répertoriée dans les prospectus touristiques et qui ne trouve apparemment aucun intérêt à se faire connaître. Et tant mieux ! Aucun artifice, aucune recherche de jeter en pâture toutes choses qui relèveraient d'une richesse quelconque, la seule jetée ici, est le petit quai dans la crique, pont entre la mer et la terre. Les maisons colorées sont resplendissantes dans la lumière du soir. La vue que cette localité offre sur la mer est imprenable ! Marvin devient alors le photographe de l’équipage et s’empare de 3 clichés dont un, l’objet de sa modeste fierté : Yes Aï. Depuis le cockpit du bateau, nous pouvons apercevoir de nombreux gros poissons. Paraît-il que  les fonds marins de ce coin à moitié caché de Gran Canaria sont parmi les plus riches de l’archipel et compte quatorze mille espèces 🐟🐠🐡 

Certains citeraient cet endroit comme étant un coin pommé. Moi je le considère comme un petit paradis. Après tout, le centre du monde est là où on veut le placer 👇

Yes Aï à Sardina del Norte
Vue depuis le village
les maisons colorées de Sardina del Norte
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