Camaret ? Camaret 2x , Oui ! Retour en France 🔙

Publiée le 12/10/2025
"Le sport va chercher la peur pour la dominer, la fatigue pour en triompher, la difficulté pour la vaincre." Pierre De Courbertin

Mercredi 10 septembre, 21h. Nous sommes positionnĂ©s au large de la Corogne et le vent commence Ă  monter sĂ©rieusement. Rapidement, nous recevons 4BF en Ă©tabli et 5 en rafales et prenons alors un 2Ăšme ris dans la GV avant la nuit. Nous surfons parfois Ă  plus de 10 nds sur une mer formĂ©e et croisĂ©e d’ouest de 2.5m avec 9 secondes de pĂ©riodes. Nous nous tapons tous les deux un mal de mer. Serait-ce parce que notre derniĂšre navigation remonte Ă  pratiquement un mois ? Ou serait-ce la consĂ©quence d’un trop plein de cookies, de vins rouges, de fromages et de festivitĂ©s ? Probablement les deux
 Le lendemain matin, Yes AĂŻ est en furie, toujours dans les mĂȘmes conditions mĂ©tĂ©orologiques. La fatigue s’installe mais nous essayons de l’ignorer. Chacun notre tour, nous prenons la barre puisque le pilote auto ne peut pas nous assister. ComplĂštement dans les choux, il envoie notre barque sur de grosses abattĂ©es et sur de gros dĂ©parts au lof avant mĂȘme que le vent, tard dans la soirĂ©e forci et atteigne 5 Ă  7 BF. MalgrĂ© cela, nous gardons le foc tel quel. Nous ne l'arrisons pas et espĂ©rons que nous ne le regretterons pas au beau milieu de la nuit
 Cette nuit oĂč comme la prĂ©cĂ©dente nous enchainons les quarts. Marvin dort trĂšs peu lorsque c’est Ă  mon tour de barrer, peut-ĂȘtre par manque de confiance. Comment pourrais-je lui en vouloir quand moi-mĂȘme la confiance en mes gestes est minim ou frĂŽle le 0% 😬. 20h, courage me dit le capitaine, nous sommes passĂ©s sous les 100 milles. Il ne reste exactement plus que 70 milles jusqu’à Camaret et 40 milles jusqu’au Raz de Sein. Je reprends mon poste de barreuse. Nous glissons Ă  vive allure alors que la houle vient soulever le bateau sans crier garde. Une fois sur quatre, elle dĂ©cuple la force amassĂ©e dans la barre. J’ai le bras droit en feu et un point douloureux entre les deux omoplates qui ne fait que grandir. Ma main gauche s’agrippe au winch bĂąbord car sans ça, je pourrais me faire projeter par-dessus bord. Dans cette houle opulente et cette nuit obscure, il y a 0 chance pour que Marvin puisse me secourir. Ce serait donc fĂącheux que cela arrive. Aussi, ma relative petite taille m’oblige Ă  allonger ma jambe droite pour que mon pied atteigne le bord intĂ©rieur droit du cockpit et afin de retenir ces propulsions dans la gite. Mon corps souffre sous ses asservissements qui durent depuis plus de 56 heures maintenant. 1 heure plus tard, mon capitaine prend la relĂšve. Ouf, enfin. Je vais pouvoir relĂącher ma carcasse sur la banquette sous le poids du sac de couchage et de CahuĂšte qui ne semble pas trĂšs rassurĂ©e. Depuis l’habitacle, les bruits et les secousses paraissent plus violentes que lorsque l’on se trouve Ă  l’extĂ©rieur. Dehors c’est la guerre. NĂ©anmoins, l’épuisement est tel que je m'endors en quelques minutes. 2 heures plus tard, le rĂ©veil sonne mais je suis dĂ©jĂ  Ă©veillĂ©e. Quelques minutes avant le gong, une vague plus puissante que les autres est venue se fracasser violemment contre la coque, m'arrachant d’un sommeil fragile. Ces derniĂšres minutes, je les ai passĂ© Ă  rĂ©pertorier toutes les parties du corps qui me faisaient mal, noyĂ©es dans un engourdissement gĂ©nĂ©ral. Et je me souviens alors avoir quittĂ© la Galice avec un sĂ©vĂšre torticolis. Je ne sais pas s’il s’est dissipĂ© ou s’il s’est fait devancĂ© par les autres contractions musculaires mais il n’empĂȘche que, Ă©tendue sur cet imparfait matelas, je remarque que la douleur est maintenant diffuse, Ă  en devenir une bonne nouvelle ! C’est l’heure. Pas sans mal, je m’habille du pantalon cirĂ© trop grand de Marvin, de mes chaussures de rando (les seules Ă  peu prĂšs Ă©tanches) et de ma veste de quar qui devrait, mais quant Ă  elle, n’est pas du tout impermĂ©able. Ces Ă©quipements de navigation ne m’avaient pas manquĂ© ! Mais alors pas du tout ! Je sors la tĂȘte dehors, Marvin est en train d'installer une lampe frontale sur un winch de sorte que les voiles restent apparentes. Parait-il qu’il se soit pris un gros grain et que depuis les nuages gras et opaques ne quittent plus le ciel. La nuit est encore plus noir et la batterie en fin de stock Ă©nergĂ©tique. Pas trĂšs Ă©tonnant au vu des maigres heures ensoleillĂ©es que nous avons eu depuis le dĂ©part. Pour remĂ©dier Ă  ce problĂšme, Marvin s’est dĂ©cidĂ© Ă  faire ce qu’il entend ĂȘtre le moins important dans la poursuite de notre objectif d’atteindre Camaret : Ă©teindre les feux de nav. Bah voyons ! Comme ça, aux croisements de bateaux de pĂȘche et de cargos, ils ne peuvent pas nous voir. C’est gĂ©nial 😀. Les rafales montent dĂ©sormais Ă  plus de 30 nds, ce que je croyais ĂȘtre la guerre 2 heures plus tĂŽt Ă©tait en fait une bagarre dans une cour de rĂ©crĂ©ation. Je m’installe Ă  mon poste me croyant partie pour 1h Ă  2h de bagne dans les limbes de l’atlantique. Finalement, je m’en extrait au bout de 15 minutes Ă  peine. Je suis incapable d’assurer le coup. Mes yeux qui doivent suivre le cap sur l’écran GPS (seul point lumineux dans ce dĂ©cor tĂ©nĂ©breux), couplĂ©s Ă  l’impact physique que le bolide lancĂ© Ă  vitesse grand V sur une mer infernale, me donne la sensation d’ĂȘtre complĂštement bourrĂ©e. (Allez tiens donc, un nouveau genre de mal de mer que je n’avais pas encore dĂ©gustĂ© !) “Marvin revient sur le champ de bataille et pour reprendre ses mots “compose avec les Ă©lĂ©ments” pour les 6 prochaines heures
 Pardon Marvin đŸ„ș C'est dans ces moments-lĂ  qu’on a beau se raisonner, on se sent ĂȘtre une vĂ©ritable sous-merde. Au summum de l’état d’ébriĂ©tĂ©, je dĂ©charge des rĂŽts de l’espace (la classe internationale !) et retourne donc Ă  ma banquette, me flanquer contre ma pile d'oreillers et mon chien bouillotte.

Plus tard, nous nous rapprochons du Raz de Sein et TOUS les appareils Ă©lectroniques nous abandonnent. C’est vrai que c’est le moment idĂ©al pour que cela se produise si on se rĂ©fĂšre au dicton bien connu de tous les marins : “Qui voit Sein voit sa fin”... Le raz de Sein est en effet une passe occidentale rĂ©putĂ©e pour ses brisants et son courant de marĂ©e violent. C’est un dĂ©troit de 8 km de large au sud de la mer d'Iroise, entre la chaussĂ©e de l'Ăźle de Sein et la pointe du Raz habillĂ©e de roches dĂ©chiquetĂ©es. Munis du seul Ă©clairage de la lampe frontale, le capitaine dĂ©cide d’emprunter l’occidentale de Sein, c’est-Ă -dire de contourner l’üle par l’ouest. Ce second choix est certes plus sage en toutes circonstances dĂšs lors oĂč la destination finale dĂ©passe cette zone gĂ©ographique et d’autant plus dans les circonstances actuelles. C’est le mieux que l’on puisse faire. Je sors de ma grotte pour les 30 milles restants et pour cette fin de nuit apocalyptique. Enfin apte Ă  Ă©pauler Marvin afin d’empanner la grand-voile sur notre derniĂšre ligne droite. Je suis Ă  la barre depuis 10 minutes quand soudain, j’entends derriĂšre moi le bruit dĂ©chirant d’une dĂ©ferlante. Je sens instantanĂ©ment que cette derniĂšre va faire mal. Tout se passe en une fraction de secondes, je suis tĂ©tanisĂ©e, pĂ©trifiĂ©e, crispĂ©e comme une gosse qui va recevoir une claque. Je la sens se rapprocher et je hurle Ă  la mort “Non, Nooonn, Noooooooonnnnnn !!!!” Et vlan ! 🌊Je reçois par l’arriĂšre l’équivalent peut-ĂȘtre d’une quinzaine de seaux d’eau qui m'aspergeant de la tĂȘte au pied. Une torgnole d’une telle violence que mon buste se plie sous le poids de cette masse d’eau. Elle couvre tout le fond du cockpit et mes pieds avec. Je patauge dans une piscine et suis trempĂ©e jusque dans le fond de ma culotte đŸ˜±đŸ€Ł. Un peu sous le choc, je peine dans un premier temps Ă  rĂ©aliser ce qu’il vient de se passer. Petit Ă  petit mon cerveau reprend ses capacitĂ©s d’analyse tandis que je reste dans un Ă©tat Ă©motionnel pertubĂ©e et glacĂ©e sous mes vĂȘtements mouillĂ©s. J’ai maintenant peur que cela se reproduise. Marvin n’a rien vu de la scĂšne lui qui Ă©tait plongĂ© sur les cartes et sur le bloc marine. Il a juste entendu les cris de panique et le bruit Ă©pouvantable de la vague se fracassant sur le bateau. Il a ensuite constatĂ© les dĂ©gĂąts sur mon visage et dans l’entrĂ©e de l’habitacle macĂ©rant dans de l’eau salĂ©e 👌.

Les premiĂšres lueurs du jour arrivent enfin. Le crĂ©puscule est grandiose sur cette horizon familier que sont les tas de pois et la pointe St-Mathieu. Le sentiment d’ĂȘtre de retour chez soi s'immisce peu Ă  peu en nous. Je me prends Ă  penser Ă  Lulu et comme si je le sentais tout prĂšs, des larmes montent Ă  mes yeux. Auparavant, j’ai beaucoup pensĂ© Ă  lui, mon chat P’tit Lu entre de bonnes mains dans la famille d’accueil Limouzi
 Mais je me surprenais Ă  vivre l’éloignement assez facilement au point de penser que mon amour pour lui s'Ă©tait amenuisĂ© avec le temps. J’avais tort ! Un mĂ©canisme de protection psychologique et sensoriel s’était comme de lui seul mis en place. Maintenant que le voyage approche Ă  sa fin et maintenant que je me trouve de nouveau dans les eaux bretonnes, la carapace s’effrite. Le couvercle se soulĂšve et laisse entrevoir tout le trĂ©sor sentimental prĂ©servĂ© au fond de la marmite. 

Pour l’heure, je rattrape mes pensĂ©es volages et revient entiĂšrement aux cĂŽtĂ©s de Marvin. Nous sommes presque arrivĂ©s Ă  Camaret. Le temps de mettre Ă  poste les amarres et les pares-bats, nous amorçons notre dernier virage en direction des pontons. 5 minutes plus tard, la dĂ©bandade s’arrĂȘte et le calme revient. Dedans c’est la pagaille. Tout est mouillĂ© et humide. Les poils de CahuĂšte tapissent le sol collant et se mĂȘlent aux cheveux morts de Marvin tout aussi nombreux. Celui-lĂ  les a long depuis peu. J’ai beau lui rĂ©pĂ©ter comment retirer son Ă©lastique, il continue de tirer dessus comme un barbare, lui arrachant mine de rien de belles mĂšches  ! 😆Et la pauvre CahuĂšte a eu le droit a un petit vol planĂ© alors qu’elle Ă©tait sagement assise sur sa banquette. Pas Ă©tonnant que le parquet porte maintenant un pelage. 10h30, dehors il pleut comme une vache qui pisse. Nous devons attendre que ce grain passe avant de commencer le rangement et le nettoyage du bateau. Il devrait faire beau cet aprĂšs-midi et c’est tant mieux car il y a moulte choses Ă  faire sĂ©cher 😅. En attendant, une douche serait de bon aloi ! Nous connaissons dĂ©jĂ  les sanitaires du port de Camaret qui laisse Ă  dĂ©sirer
 Mais aprĂšs 3 jours dans un environnement hostile et ingrat, ils se prĂ©sentent Ă  nous comme le trophĂ©e d’une course au large gagnĂ©e. La pluie cesse et le soleil se montre comme prĂ©vu.. Avant de passer au cleaning du bateau, nous nous asseyons en terrasse et profitons pleinement du soleil breton 😎 (On espĂ©rait pas tant !). Ce n'est pas un mythe, ici il tape fort ! Nous ressentons la diffĂ©rence avec celui rencontrĂ© quelques semaines plus tĂŽt en Galice.  Autour d'un cafĂ©, nous faisons le constat : ça aura Ă©tĂ© 3 jours d’une extrĂȘme intensitĂ©. Pas la plus longue mais la plus difficile navigation faite sur tout le voyage. Gascogne ne tari pas Ă  sa rĂ©putation đŸ„”. Pourtant, ça aurait pu ĂȘtre pire. Nous aurions pu nous prendre bien plus de paquets de mer mais la houle longue nous en a Ă©pargnĂ©. Nous aurions pu recevoir bien plus de grains mais le ciel nous en a prĂ©servĂ©s. Nous aurions pu ĂȘtre victimes d’avaries mais le bon Dieu, nous en a exemptĂ©s. 

Le bronzage camouffle les traits fatiguĂ©s ! Ou pas 😅

Il se passe 5 jours avant de pouvoir repartir. Le vent soufflait encore trĂšs fort et dans la mauvaise direction. À l’avant veille de quitter la presqu’üle, la question se pose : allons-nous faire un Camaret-Morlaix d’une traite ou allons-nous diviser cette fin de voyage en 2 ou 3 Ă©tapes. Nous prenons note des horaires de marĂ©es et des heures d’écluses Ă  Morlaix qui dĂ©finissent avant toutes choses, les diffĂ©rents choix possibles. Également, nous jaugeons chacun de notre cĂŽtĂ© notre Ă©tat gĂ©nĂ©ral. Verdict : Nous sommes dans le mĂȘme bateau ! AbĂźmĂ©s. AbĂźmĂ©s c’est le mot. Non pas uniquement de par la derniĂšre traversĂ©e mais par l’ensemble du voyage. Voyager n’est pas toujours synonyme de vacances. À cĂŽtĂ© des nombreux bons moments, nous n’étions certes pas rĂ©munĂ©rĂ©s, mais nous avons travaillĂ©. Et sur un voilier, et sur nous.

Finalement, nous quittons Camaret-sur-Mer jeudi 18 septembre. Nous rassemblerons nos derniĂšres forces pour tenter une traversĂ©e directe de 24 heures vers Morlaix. La toute toute derniĂšre fois. La derniĂšre navigation qui nous fera franchir une palanquĂ©e de balisages avant de dĂ©poser nos bagages sur le quai du port. AprĂšs “Qui voit Sein voit sa fin”, nous laissons de cĂŽtĂ© les autres cĂ©lĂšbres dictons “Qui voit MolĂšne voit sa peine” ou “Qui voit Ouessant voit son sang” pour s’engager sur notre derniĂšre ligne droite. Nous allons cramer le chenal du four đŸ”„, tirer un trait vers l’üle de Batz ⚡, battre les affres contenues des 10 derniers mois pour s’engouffrer en baie de Morlaix ⚓ et clamer haut et fort dans un dernier effort “C’est nous qui arrive ! C’est Yes AĂŻ, c’est nous !! 😁 ” 🔚

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1 Voyage | 40 Étapes
Camaret-sur-Mer, France
307e jour (13/09/2025)
Étape du voyage
Début du voyage : 11/11/2024
Liste des étapes

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