Partis jeudi 14 août de Santa-Maria, on peut dire que la chance nous sourit pendant les 6 premiers jours. Petit vent, soit, mais petite mer. Pas plus d’1m40 en Atlantique, c’est assez surprenant. Par ailleurs, c’est à peine si on se prend 2, 3 grains sur la tête. Le vaste ciel, nu et parfois cotonneux est une soyeuse couverture sur le lit de l’océan. Dans ce contexte facile à vivre, tout porte à la détente, à l’amusement et à la joie. Nous sommes autant inspirés aux fourneaux qu’aux activités de loisirs. Et c’est tant mieux car pour occuper son temps dans un espace réduit à une surface habitable (debout) de 5m², c’est mieux de trouver l’inspiration 😆. Écouter de la musique, contempler l’étendu de l’océan, brosser Cahuète (plus pour lui faire plaisir que pour retirer les poils morts …), lire et écrire sont personnellement mes principales distractions. Au bout d’un certain temps, il me vient l’envie de trouver autre chose pour diversifier mes occupations et c’est alors que je trouve l’idée du siècle : faire des bracelets ! Après tout, tous voiliers taillés pour naviguer sont censément bourrés de garcettes en tous genres et de toutes les couleurs. De plus, tous bons marins possèdent le kit complet de réparation de voile contenant notamment le briquet tempête pouvant braver les forces de vent jusqu’à 7 à 8 BF. Voilà ! J'ai tout ce qui me faut pour créer des bijoux 3 francs 6 sous et faire travailler mes neurones sur toutes les façons possibles d’assembler les fils. Cela occupe au moins 2, 3 heures (facile) de mon après-midi ! Il faut être certes inspiré sur de longues traversées et par la même, un minimum inventif. C’est pourquoi en cette fin d’après-midi du mercredi 20 août, alors que la morosité me gagne, je me mets à danser sur la musique qui passe. Marvin vous dirait plutôt que je fais le singe pendant une bonne vingtaine de minutes mais je ne partage pas du tout cet avis… Il s’agit d’une chorégraphie remémorée du style village vacances formule bateau sur l’eau. Le pas de bourré revisité voir amélioré …
Avec le recul, je chérie ces moments uniques, ces jours qui me sont offerts, que je me suis offerte ! Je ne discerne pas nettement la source créatrice de cette planète, cela ne fait aucune différence sur toute la gratitude que je lui porte. Je parle de Dieu, la source, la divinité, la toute puissance, l’énergie vitale, la, le ou les choses qui ont donné le souffle de la vie à tous le vivant sur terre. Je ne crois pas au hasard. Quoi que ce soit, je ne peux que remercier cette mystérieuse chose d’avoir décorer ce monde de cieux lumineux pour faire scintiller l’océan et ses ondes ; d’avoir créé les mers dansantes pour qu’y miroite le ciel et ses astres habitantes. Merci d’y avoir introduit de curieuses et admirables créatures, plus merveilleuses les unes que les autres, afin que mon espèce dominante, aux ambitions souvent démentes, puisse s’incliner parfois simplement, au croisement d’un dauphin joueur ou d’une tortue dormante. Merci d’avoir autorisé nos petits corps frêles et insignifiants, ainsi que notre vaisseau tremblant à parcourir l’insondable liquide bleu sur un registre irréel et heureux. Ces jours mémorables dont la morale se perd et s’oublie dans un “WAHOUUUU”, où tu as assoupli les vagues pour que se faufile notre berceau ; que celui qui nous transporte, fraye son chemin jusqu’à nos terres natales. Nuit du jeudi 21 au vendredi 22 août, la 8ème. Le vent jusque là au portant se renforce et passe sur une allure de près. Les vagues enflent et se roulent bigrement des pelles. Nous ne sommes plus très sûrs d’où vient la houle primaire qui se cache derrière les flots secondaires. Yes Aï prend sérieusement de la gîte, les forces qui s’exercent tirent sur son mâts ses voiles, il est temps de prendre 1 ris dans la GV et d’enrouler le gégé pour l’intervertir du foc 2. Tout ça dans des conditions absolument rocambolesques. Alors que l’on se prend de temps à autre des paquets de mer nous arrosant jusqu’aux os, Marvin reste imperturbable, assure et garde son calme. De mon côté mes yeux se mouillent autant que mon front. Je ne m’y étais pas préparé et malgré les bonnes conditions des jours et des nuits précédentes, la fatigue commence à se faire sentir. Le rythme des quarts est difficile à tenir pour moi qui et dont la contenance dépend inexorablement de la qualité de mon sommeil. Déjà 7 nuits durant lesquelles Marvin et moi alternons les veilles à la barre sur un rythme de 3 ou 4h pour l’un et 2h pour l’autre… 😇 ( le maximum que je puisse faire !! 🤭🤣). Durant cette nuit mouvementée, je suis aux abonnées absentes. Quoique toutes les 3, 4 heures, je fais irruption dans la descente d’escalier, un œil à demi ouvert pour jauger l’état du capitaine agrippé à la barre ardente. Et au cas où, il faudrait sans autres possibilités, le suppléer dans la dure labeur. De cette façon, j'ai l’impression de le soutenir un peu… Mais au fond de moi, j'espère honteusement qu’il lui reste une bonne dose d’énergie pour poursuivre sa besogne.. Fort heureusement, il tient bon jusqu’à 7h le lendemain matin, l’heure à laquelle j’ai trouvé un second souffle pour le relayer à la barre et afin qu’il puisse dormir quelques heures. La journée de vendredi se résume en quelques mots : mer dégueulasse, des giclées voir des seaux d’eau de mer entiers sur nos 3 têtes et corps fatigués, vent soutenu entre 15 et 25 nds. Samedi matin, la tempête Erin nous rattrape. Bientôt, elle formera d’énormes creux de vagues de 4 à 5 mètres. Nous espérions tenir l’écart qui nous séparait d’elle depuis le début. Cependant, le faible vent d’abord et son passage hier soir au NNE nous a nettement fait ralentir. Toujours en communication avec nos collègues d’Awen Atao et de Terre-Sainte via les téléphones satellites, nous jugeons tous bon de couper court et de faire étape à Camariñas. L’équipage Terre-Sainte, parti en premier de Santa-Maria (2 jours avant nous) doit alors se dérouter sur une centaine de milles. Les gonzs d’Awen Atao, parties au même moment que nous (puisque je le rappelle, ce sont elles qui nous ont tirés du port) sont à une distance approchant les 250 Nm de la destination. Elles se voient donc obligées de mettre les gazs pour accélérer et arriver à temps. Nous autres, Team AlloYesAï, sommes désormais à moins de 30Nm de l’entrée de la ría de Camariñas. Au rythme que nous avançons c’est-à-dire 4,5 nds, nous devrions arriver dans à peu près 6 heures à tout casser ! YEESSS AÏÏÏÏÏÏÏ !!! Notre Buzz l’éclair dans la catégorie petit bateau est certes le moins confortable des 3 mais vindedious ce qu’il charge bien ! Nous entamons une arrivée encore dans des conditions sportives mais après 9 jours en mer, notre motivation est grande. Je me surprends même à trouver de l’amusement dans cette mer toujours et encore croisée depuis jeudi soir. La houle primaire arrive au ¾ avant du bateau, côté bâbord. Si on se concentre et anticipons bien, il est jouable de la prendre habillement sur un angle précis, de façon à réduire de moitié, voire plus, le nombre de douches salées… Nous barrons de longues heures jusqu’à prendre un ris supplémentaire en fin de journée afin de faire travailler Auto le pilote et reposer nos biceps saillants (Ahah très drôle). 17h, nous sommes plus qu’à 5 Nm de Camariñas. Cela fait tout drôle d’apercevoir Muxia, là où nous étions 7 mois plus tôt en compagnie de tonton Béni notre ami belge n’est-ce pas ! 7 mois plus tôt, nous ne voulions qu’une chose, descendre et aller chercher la chaleur et le dépaysement. À présent, nous cherchons à remonter aussi vite que possible vers le nord pour retourner au bercail. Le temps passe vite me dis-je alors.. Et je m’interroge sur la qualité de mes sentiments que mon juge intérieur se fait un malin plaisir de les interpréter. “Durant tout ce temps, tu t’es trouvée finalement impatiente et jamais en phase totale avec ce que tu faisais. Une éternelle insatisfaite !” Je lui lance dans ma tête un “TG” pour revenir à maintenant et tout de suite et afin de ne pas lui donner la moindre place dans mes pensées déjà fort nombreuses. À l’approche des côtes, le vent commence à faiblir comme prévu. Ce qui l’était moins, c’est de le voir tomber complètement. Nous voilà une fois de plus embarqués dans une arrivée interminable si on peut encore imaginer arriver. C’est ballot, nous qui avons gazé pendant 9 jours et réussi même à avancer dans un petit 7 nds de vent. La Horde du Contre-temps ! Ouiiii c’est encore noouus ! 1h, 2h, 3h de lutte passent, sans grand succès. Nous ne nous éloignons pas de notre destination mais nous nous en rapprochons pas non plus. La nuit commence à tomber et nous, nous commençons à envisager une expérience inédite. Une nuit à bouchonner ! Non je ne parle pas de s’ouvrir une bouteille de rouge et d’éponger notre désillusion en se l’avalant d’une traite.. Auquel cas d’ailleurs, j’aurais directement parlé de “débouchonner” une bouteille… Bouchonner : faire le bouchon sur l'eau sans manœuvrer ni faire route. Tout comme le bouchon de liège, flotter à la surface de l’eau et se laisser dériver en priant Dieu, Bouddha, Braham, le petit génie, nos anges gardiens, Marie et Joseph. Sans blague, c’est vraiment ce qu’il nous reste à faire car il n’y a pas de possibles mouillages dans les environs et aucunes autres solutions. Dans l’extrême urgence, on dit que l’on fait “cap sêche”. C’est-à-dire que l’on se met à sec de toiles dans un gros temps que l’on ne peut pas affronter. Cela se produit plus généralement au large ou lorsqu’un courant nous fait dériver dans ce sens. En ce qui nous concerne, nous sommes proches des côtes avec sur notre sud-sud-est le cap Touriñán et dans une absence finalement TOTALE de vent. 1h30 du matin, je réussi à convaincre Marvin (encore dans le cockpit à jouer de la barre et des boutes) d’abandonner et d'affaler les voiles. Moi, je suis déjà au lit avec des couches de vêtements, dans mon sac de couchage et sous 2 couvertures supplémentaires pour me protéger du froid humide. Dire qu’il y a 2 jours, je dansais en petite culotte sur le pont avant du bateau… Effectivement, cela fait 4 ou 5 heures qu’un brouillard à couper au couteau s’est installé et a fait monter le taux d’humidité à 95%. Nous ne discernons plus les lumières des phares : le plus proche Faro Touriñán, plus loin Faro de Muxía et celui qui lui fait face, Faro da Villueira. Nous mesurons alors notre distance avec le danger le plus proche (le cap dont j’ai parlé précédemment) que nous divisons par notre vitesse (évaluée approximativement selon nos sensations et selon les prévisions annoncées qui ne devraient pas évoluer) pour estimer le temps qu’il faudrait avant de se manger un rocher de cette pointe. En fonction du résultat obtenu, nous mettons un réveil 2 heures plus tôt avant d’y être trop près afin de contrôler la situation et sans précipitations, se laisser le temps d’agir si besoin en est. Ah oui ! Parce que j’oubliais de préciser une chose ! Une chose qu’il aurait été dommage qu’elle ne se produise pas ce soir. Une chose qui aurait manqué à cette soirée déjà si délicieuse et relaxante … Au fur et à mesure que la nuit est tombée, nos installations électroniques nous ont lâché les unes après les autres. Par conséquent, tout se fait désormais à l’estime et rien ne peut nous indiquer de façon sûre notre vitesse en temps réel. Nous parvenons à avoir tout au plus notre position sur le téléphone grâce à Google Map. Merci Google. Que s’est-il passé, que se passe-t-il ? Nous pensons alors que c’est cette excessive dose d’humidité dans l’air qui déclenche une panne de nos appareils.La nuit passe et en fin de compte, rien ne trépasse ! Ouf ! Marvin se lève une fois comme prévu. RAS. Je n’ai rien entendu et je me lève 1 heures plus tard avec une légère angoisse. Je regarde hâtivement par le hublot mais il n’y a absolument rien à voir. Sinon un épais bandeau de brouillard offrant une visibilité nulle. Je réussi l’exploit de laisser tomber mes craintes en me disant que si Marvin est là à côté de moi, en train de dormir, c’est qu’on ne courre pas un grand danger.
7h30, il fait jour mais le gris nébuleux n’a toujours pas décampé les lieux. Nous qui pensions dur comme fer être au port de Camariñas hier soir avant tous les copains, le doute commence à émerger ! Pour autant, nous ne sommes pas moins de bonne humeur et trouvons même drôle la situation. Elle devient poétique au moment où je sors la tête dehors. Il n’a pas plu cette nuit mais c’est tout comme car tout est complètement trempé. Des gouttes perlent sur la baume du mât et tombent à intervalle égal sur la première marche extérieure de l’escalier. Aucun son désagréable ne parvient à nos oreilles sinon leur rythme compactes qui battent la mesure. Par-dessus, celui flegmatique et métallique du gréement répondant au mouvement créé par la houle ainsi que les cris discrets des goélands et des mouettes. L’ambiance est mystérieuse comme si ces oiseaux se trouvaient eux aussi perdus et désorientés dans cette imposante brume. Les côtes qui nous entourent restent alors indiscernables pendant plusieurs heures. La mer ondule calmement et son aspect liquoreux se greffe solennellement au brouillard. À moins que ce soit ce brouillard qui cherche un retour à l’état liquide… Le soleil finit par se montrer mais lui aussi reste en retrait. Serait-il intimidé par cette atmosphère énigmatique ? C’est fou comme toutes choses apparaissant à mes yeux semblent vouloir communier et profiter de cet instant pour se recueillir. Même les poissons tâtonnent la surface de l’eau sans bouleverser le moindre du monde, l'équilibre et la paix que la brume est venue établir ici. Alors que nous embrassons finalement l’harmonie en place depuis bien 4 heures, un petit vent vient remuer nos pavillons. Simultanément, le brouillard se dissipe et laisse entrevoir d’un seul coup toute la côte qui nous entoure ! C’est le signal pour rebalancer de la toile et engager notre valeureux Yes Aï sur le chemin menant au port. 2, 3, 4 nds, il se lance et déglutit toute l’eau douce avalée ces dernières heures vers l’extérieur de son épaisse peau. Sur un près serré, nous atteignons les 5 nds dans une mer lisse et sous un beau soleil . Nous apercevons les pontons et toutes les places béantes qui ne demandent qu’à être remplies. Nous avons l’embarras du choix et décidons d’un emplacement stratégique pour composer ultérieurement un petit quartier d’une petite communauté joyeuse entre copains matelots !
Dimanche 25 août, en fin d’après-midi, nous apercevons le Chatham 33 blanc et jaune contournant la digue et terminant sa route dans le petit port de pêche de Camariñas. À peine à portée de voix, nous accueillons Awen Atao par des hurlements déjantés et des saluts complètement débridés ! C’est bien lui et ce sont bien elles, de jeunes femmes héroïques qui ont sus haut la main braver les redoutables côtes de la Mort. Sans trop tarder, on se rassemble à la terrasse du café de club nautique pour fêter l’inattendue réunion de deux équipages soudés par les liens des bouts, (de l’alcool 🍺) et du cœur ☺️.
Lundi 26 août, sans clameur ou applaudissement, dans le plus grand silence qu’il puisse se faire, c’est au tour de Terre-Sainte d'entrer dans l’estuaire qui nous protège pour un temps des vents méchants du secteur d’ouest . Il est 3h du matin et toute la ville est endormie. Seuls raisonne aux heures de l’aurore, dans la lumière diffuse et éclatée par la fidèle brume matinale, l’effervescence des paroles de pêcheurs, surmontant tant bien que de mal le grondement ininterrompu des moteurs 3 cylindres. Ronflant grossièrement au bord des quais dépourvus d’élégance, ces hommes à leurs commandes sonnent le commencement de l’activité humaine. Arrachés de leurs lits par le pénible appel des obligations lucratives, nous nous réveillons de notre côté quelques heures plus tard avec le sentiment d’être pauvres mais chanceux. Nous saluons nos intrépides Ronan et Proutouai avec de chaleureux accolades, heureux qu’ils aient dédaignés de suivre nos conseils pour ne pas risquer leurs peaux ! Les 4 premiers jours en Galice sont les seuls nous rappelant l’interminable été des mois précédents. Nous savons que très bientôt, le temps va se gâter alors, nous nous gâtons de distractions en pleine nature avec 6 grand B :BaladesBaignades (avec les mulets 🐟)Bronzette collective sur notre ponton familialeBœufs musicalesBoire des cafés en terrasse (ou Bitures en terrasse aussi)Balancer nos bodys sur une slackline, c’est-à-dire jouer les funambulesNous nous abreuvons autant que faire se peut de moments conviviaux du matin au soir et… du soir au matin. Cette ambiance de jeunesse me renvoie aux temps pas si lointains où animatrice saisonnière, je “chouillais” outrageusement de juin à août, vêtue d’un t-shirt orange fluo histoire de me rappeler ce pourquoi je me trouvais dans un village vacances… Des instants que l’on vit à 400% entre collègues comme les meilleurs amis du monde, oubliant que demain tout s'évanouit et que chacun repart chez soi comme si rien ne s’était passé. Retournant à l’ennuyeuse vie d’étudiante, j’attendais impatiemment le retour de la débauche. Aujourd’hui, je vis à fond ces moments précieux sachant que, du jour au lendemain, ils vont disparaître aussi vite qu’ils sont arrivés. Cette fois aussi, avec la conscience de persécuter mon corps et d’enfreindre tous les principes d’une bonne hygiène de vie. Entre-temps, j’ai découvert les 4 piliers d’une vie en bonne santé : un bon sommeil réparateur et régulier, une alimentation saine, un équilibre psycho-émotionnel et une activité physique, également régulière. Synthèse : Je dors mal et peu sur des horaires irréguliers, je me nourris essentiellement de fromage, de vin rouge, de café et de cookies. Je fume des cigarettes et des pétards pour faire passer tout ça et je me traîne 2 à 3 fois par jour sur un aller/retour du bateau au café/bar. Ma dépense physique quotidienne ne va pas plus loin. Bon, j’exagère un peu. Je me donne bonne conscience quotidiennement sur mon tapis de yoga qui ne me quitte jamais et me rappelle effectivement que bientôt, mon retour au pays Bigouden sera le retour d’une existence à la Hildegarde. Marvin, me suis de près et en attendant, nous suivons le somptueux dicton de cet atypique Kersauson qui dit ceci “Pour savoir qu'un verre de vin est de trop, encore faut-il l'avoir bu !”
Arrivent les jours pluvieux, humides et froids. La Galice ou comment se réacclimater doucement à la météo bretonne. Ceci n’arrange en rien le glissement vers une vie plus saine. Car quoi de mieux pour se réconforter que de faire la bringue sur Baya Djo le bateau de Philippe, pirate gentil et inoffensif venu tout droit du Brésil. Ou alors, sur le feeling de Jean-Luc, le grand enfant nourrit d’aventures et de mésaventures à qui on a rendu un grand service ! (J’y reviendrai). Bien sûr, Terre-Sainte reste le bateau N°1 des rassemblements conviviaux et parfois nocturnes. Les plus jeunes d’entre nous savourent la fleur de l’âge par bien des manières que je ne saurais évoquer plus explicitement tout en restant formel et poli … 🤐
Comme je l’ai déjà dit précédemment, à un moment donné tout s’arrête. Et tous, pensions que ce jour-là serait le dimanche 7 septembre. Attablés dans l’une des salles de restauration du club nautique aux alentours de 10h30, nous commençons à en douter. Une crêpe préparée par Marvin dans une main (toujours dans l'optique d’une “réincarcération” bretonne…), un café dans l’autre, les doigts se décrochent trop souvent du menu gourmand pour s'énerver sur le tactile des téléphones … Un moment déjà vécu qui se répète encore et encore 🤔. Le verdict tombe, la fenêtre est meilleure à partir de mardi matin. Déception pour tout le monde et crève-cœur pour les nouveaux marins qui ont besoin de plus de temps pour s’en remettre. C’est le cas de Marie-Lou, la seconde de Loulou qui l’a rejoint 2 mois auparavant ratera donc sa rentrée à la fac. Et celui de Ronan, capitaine de Terre-Sainte qui vient d’acquérir sa propre monture 2 mois plus tôt à la Gomera et à ce jour sans grandes expériences de navigations m’a t-il dit... Il faut croire que nous autres sommes déjà plus habitués aux retournements de situations et avons appris qu’il n’est guère bon de nourrir trop d’attentes. Ceci est vrai dans la vie en général, mais ça l’est plus encore dans le milieu de la mer. Nous avons appris que voyager sur les flots demande à être flexible et résilient. Ronan est déterminé à partir aujourd’hui bien que nous soyons tous du même avis après avoir longuement réfléchi et échangé sur la meilleure décision à prendre. Nous tentons alors d’expliciter notre propos et notre opinion commune, en lui disant qu’il ne sert à rien de se précipiter. À deux jours près, le jeu n’en vaut pas la chandelle. Si on peut encore appeler cela un jeu car il ne s’agit pas d'un choix sans dangers... D’ailleurs, partir tout de suite ne lui ferait absolument pas gagner du temps. Il serait même perdant à épuiser ses ressources et en baver davantage les jours suivants. À cela il nous répond justement qu’il veut “affronter la mer”. Marvin, en beau prince cavalier des océans rebondit à ceci : “personnellement, je n’affronte pas la mer, je compose avec les éléments. Et t’inquiète pas, à partir de demain et pour 3 jours tu auras ta dose de dépense ! Même plus qu’il ne t’en faut ” 🤣 Finalement, Terre-Sainte reste des nôtres et la petite flottille au complet !Lundi 8 septembre, s' il y en a bien un qui est heureux de nous savoir encore sur place c’est Jean-Luc et son Micawber ! Le jour de notre arrivée, Marvin et moi avons effectivement assisté à un incident pour le moins déconcertant. Nous avons été spectateurs du démâtage involontaire de son feeling 29. Cette énorme pièce métallique et verticale s’est étalée de tout son poids sur le petit bout de ponton et de tout son long dans l’eau. Le choc. Cuillère à la main pendante et bouche béante, je ne sais pas laquelle des deux premières gouttes de bouillie de bananes est tombée sur mon sweat-shirt … Ce n’est pas tous les jours que l’on voit ça. Marvin rejoint Jean-Luc au pas de course tandis que je reste à bord de Yes Aï avec l’envie irrésistible de finir tranquillement mon bol de fruits … Je me doute bien qu’il y aura de la casse (j’en suis sincèrement désolée. Juste… dans mon coin… c’est tout…), que l’étape suivant la catastrophe sera de constater les dégâts avant de commencer les réparations et avant de penser à remâter le bateau. J’ai bien fait de ne pas accourir. Marvin revient ½ heure plus tard et m’explique que tout de suite, nous ne pouvons apporter aucune aide à Jean-Luc. Que ce qui s’est produit est l’œuvre d’un homme étourdi ayant agi avec l’esprit vagabond. Dans la littérature scientifique, on appelle ceci le mind wandering. Aujourd’hui cependant, nous sommes là entourés de 12 autres bras pour “remâter Jean-Luc !” Je m’amuse sans lassitude de cette façon qu’on tous les marins de parler de leurs voiliers comme si c’était leurs propres corps ! “Je suis plutôt bien accastillé”, “j’ai de l’eau dans les fonds”, “j’me suis amarré à tel endroit”. Sortie de leurs contextes, on assiste parfois même à des conversations qui peuvent prendre des connotations franchement sexuelles ! “Bon aller, j’vais gratter ma quille !”, “j’ai un tirant d’eau de 1.70m”, “C’est bon, j’suis bien mâté”. Pour leurs défenses, j’ai déjà entendu dire que tous moyens de locomotion (quels qu’ils soient) seraient le prolongement du corps de son propriétaire. Ainsi, lorsqu'une couille arrive sur une voiture ou un bateau, il ne serait pas surprenant que le propriétaire soit amoché quelque part, peut-être même à l’endroit en analogie avec son anatomie … Par exemple : les rétroviseurs pour les oreilles, le moteur pour le cœur, les voiles pour les tissus biologiques, donc bon… le mât pour … C’est une hypothèse et ceci tient de constatations empiriques uniquement ! 🙀
Bref, 14 bras pour transporter le gros mât réparé du ponton au lieu de rdv, c’est-à-dire à 200m plus loin jusqu’au quai des pêcheurs voisins. Et les 2 autres bras, ceux de Marvin sont embarqués à bord de Micawber. Je précise : les bras et le reste de son corps sinon aucun intérêt et aucune utilité…Deux autres hommes sont au rdv avec leur grue de manutention garée au bord du quai. Celle-ci est reliée au mât par une sangle entourant les barres de flèches et 4 à 6 mètres. En-dessous est amarré Jean-Luc enfin, le voilier de J-L (actuellement réduit à l’état de bateau moteur, le pauvre) et ainsi commence l’opération. Elle dure 1h30 avec 2 tentatives et quelques milliers de réajustements interminables. Après avoir positionné correctement le mât sur son sabot, il faut rapidement réinstaller l’intégralité de gréément dormant. D’abord le pataras, ensuite les haubans et pour finir l’étai et le tour est joué. Micawber est de nouveau un fière et sensationnel feeling 29 🤩 Apéro pour fêter ça ! “Champagne !” nous hurle Jean-Luc depuis son bord maintenant en route vers son emplacement de port. “Plus tard, à sa énième tentative, nous lui répondant à l'unanimité “Pas d’alcool avant un départ de nav”.
Demain, mardi 9 septembre, départ ? Nooon toujours pas ! Nouveau rebondissement ! Ce mois de septembre n’a rien d’un été indien mais ressemble plutôt à un automne précoce. La bonne fenêtre météo pour traverser Gascogne s’est décalée d’un jour supplémentaire. Aïe !!! 😬 L’équipage Yes Aï et celui d’Awen Atao sont les premiers au courant. J-L (seul sur son boat) et l’équipe Terre-Sainte ne vont pas tarder à le savoir. Nous craignons alors la réaction de notre copain Ronan… À notre plus grande surprise, ça passe ! La discussion de dimanche n’a pas été vaine et ce petit gars (25 ans, pouaaaa le jeunôt !) est intelligent, il nous le montre aujourd’hui. Nous passons tous la journée au calme, chacun chez soi.
Nous apprenons par Loulou qui a jeté un œil sur orcas.pt (pt = Portugal) qu’un équipage a dû contacter la SNSM à l’entrée de la ria de Camariñas car une famille d’orques a fait de la casse sur leur safran. Remorquage jusqu’à Muxia qui a dû par-dessus le marché, leur coûter un bras ! Conclusion : Nous l’avons échappé belle ! 😨Cela me fait de nouveau penser à Olivier de Kersauson et cette phrase disant : “Quand un cachalot de 45 tonnes vient de tribord, il est prioritaire. À bien y penser, quand il vient de bâbord aussi”. Actualisé ça pourrait donner : “Quand un épaulard de 4 à 7 tonnes (c’est déjà beaucoup !) vient de bâbord ou de tribord, il est prioritaire. À bien y penser, quand il arrive par derrière aussi.”En soirée, Loulou vient toquer à nos panneaux (ce qui fait office de portes à Yes Aï). Loulou : Un petit verre de rouge au café pour notre dernière soirée réunie ?!Océane : Dernière soirée, en sommes-nous sûrs ??!Loulou : TG Océane ! 😊Océane : Et quand est-il du “pas d’alcool la veille des départs ?”Loulou : Ouai boh… Juste un verre !2 secondes plus tardMarvin et Océane : Ouaaaii bon allez !2 heures plus tard, nous comptabilisons 3 verres chacun. Marvin : Allez c’est bon, je rentre au bateau cuisiner !Et 3 heures plus tard, 23h30 (voilà qui est raisonnable !!), après un bon repas partagé sur Terre-Sainte, les lumières s’éteignent et les corps s’endorment.Mercredi 10 septembre, cette fois c’est la bonne. 11h, on met les voiles ! Mais d’abord, on attend à la cape nos copains copines dans l’avant-port pendant que Jean-Luc sur son feeling fait des ronds dans l’eau. Visiblement, les réparations tiennent le vent déjà en moyenne à 15 nds. Après 10 bonnes minutes à poiroter, ou devrais-je formuler : à brider notre étalon Yes Aï qui n’en peut plus maintenant sorti de son box, J-L nous rapporte que Terre-Sainte est en panne de moteur… Damn it ! Nous hésitons un peu tout en observant le leader Micawber tirer des bords et glisser dans une passion maladive en direction de la sortie de l’estuaire. Maladie visuellement transmissible apparemment, nous partons finalement à ses trousses. La panne risque de durer un certain temps et nous estimons avoir assez attendu. De toute façon, l’outsider Yes Aï ne tient plus, il est sur le qui-vive. Le coup de feu retenti, il dresse ses voiles et se lancer dans une course folle. La flottille est alors divisée. Pendant qu’Awen Atao et Terre-Sainte cherchent l’origine de la panne, Yes Aï et Micawber font cap au nord. 13h, nous venons de passer le cap Vilano. Nous sommes maintenant à découvert, à la merci de l’océan atlantique dont la houle, aujourd’hui encore, est complètement désordonnées due au cyclone tropical Erin passé il y a peu. Sous GV 1 ris et Foc 2, nous suivons J-L qui file vite comme un voleur. Rapidement, nous recevons un appel de Loulou. Merveilleux, nos 2 retardataires prennent la mer ! Terre-Sainte propage le virus idéologique “ voile sans moteur” et s’élance sur les monts aqueux du grand Gascogne. Notre cher cadet Ronan voulait le combat ? Et bien Il l’aura ! Grand bien lui fasse ! 😅.Chère Bretagne, nous voilà ! 🫡 Dans 3, 4 jours mais nous voilà !