L’ivresse de la mer ou la murge océanique… Une traversée peut être abordée de différentes manières. Dans un cas elle vous accable, dans l’autre, elle vous anime. Certains marins disent que cela dépend uniquement du mental. Il est vrai que j’en ai fait plusieurs fois l’expérience. Je me souviens par exemple d’une navigation durant laquelle, je suis passée en quelques secondes d’un état à un autre. L’esprit obscurci par l’obscurité de la nuit, j’étais cantonnée dans le fond du cockpit pour m’isoler du froid et du vent et afin de limiter mes mouvements à l’origine de profonds malaises. Quand tout à coup, un groupe de dauphins a surgi de nulle part. Ni une ni deux, j’étais debout à leur faire savoir que je les avais repéré et à me laisser toucher par leur joie de vivre communicative. Pourtant, plus d’une fois, les tentatives de tromper mon cerveau en lui faisant croire que tout allait bien ont échoué. Et dieu sait si j’y ai mis beaucoup de volonté ! D’autres marins racontent qu’il faut quelques jours pour s’amariner. Quelques jours d’accord, mais c’est-à-dire combien ? Je vous écris, nous sommes mercredi 30 juillet et cela fait 3 jours que nous avons quitté le port de Porto Santo, 3 jours et quelques heures que nous sommes livrés à nous-même au beau milieu de l’océan. Il est 18h00 et Marvin commence à fouiner dans les placards de la cuisine pour concocter un repas facile à préparer et pratique à manger. Au même moment je me réveille d’un sommeil relatif, partiel… Et comme à chaque fin de sieste, je suis dans le brouillard avec l’impression d’avoir été secouée comme une bouteille d’orangina. Le problème c’est que j’émerge dans le dure, en me rappelant d’où provient ce mal être et en étant encore et toujours exposée à l’objet de mes tourments. Vient le moment où j’explose. Au bord du gouffre. Il faut que ça s’arrête, la goûte d’eau de trop qui fait déborder le vase. La vague de trop qui déclenche en moi la scélérate destructrice. J’éclate en sanglots, j’ai envie de tout casser, faire n’importe quoi qui pourrait arrêter la course folle de Yes Aï. Je n’en peux plus de tout ce bruit, des secousses et de cette cadence me bouffant de l’intérieur. L’eau chassée par l’élan du bateau, celle giflant la coque, le vent agressant mes oreilles, je ne maitrise plus rien, je subis et suis soumise à de rudes conditions de vie dans lesquelles je me suis moi-même fourrée !! Comme si j’étais dans un tourbillon qu’il est impossible d’arrêter ou de ralentir. J’ai beau savoir que la réalité vécue est maîtrisable et dépend entièrement de la manière dont nous abordons les évènements, je ne parviens pas à prendre le dessus. Finalement je pleure un bon coup. Il en découle un lâcher prise salvateur. Je reprends mes esprits, me dis qu’il n’y a de toute façon pas de concrètes issues possibles pour sortir de cette situation (à moins de se jeter à l'eau), que si je veux trouver ce que je cherche (la terre ferme) je n’ai d’autres choix que de passer par-là et de tenir un ou deux jours de plus. Serait-ce cela le mode survie ? …
Un jour de plus, nous arrivons sous le vent de l’île Santa-Maria et déjà là, le calme revient. Le vent tombe un peu, il reste juste ce qu’il faut pour continuer d’avancer sur les 6, 7 milles qu’il nous reste à parcourir afin d’atteindre le port de Vila do Porto. Le bateau est plus vivable, moins de bruits, moins de gîte et une vue imprenable sur les montagnes verdoyantes. Je prends mon appareil photo, de quoi m’encourager et m’égayer sur le chemin que je suis en train de prendre : la bonne humeur pour les quelques kilomètres restant. Encore fragile mais alerte de ce qui se passe en moi, je constate la grande fragilité et la versatilité de mes humeurs. Tantôt, je sens ma nuque douloureuse, mes jambes engourdies et mes yeux qui piquent. Je passe alors dans un état de détresse et d'abandon. Tantôt, je sens l'arrivée proche, focalise sur la beauté colorée et lumineuse du moment et suis ainsi prise d'une douce et plaisante euphorie. Je me frotte le visage et constate qu’une couche de sel le couvre. J’ai effectivement des crottes de sel à la place des crottes d'yeux. Les cheveux emmêlés comme si j’avais mis la tête dans un réacteur et une haleine à faire décoller du papier peint. Faut dire aussi, je me suis brossée les dents que 2 fois durant cette traversée… Bon il y a pire…Marvin juste à côté de moi. Le brave Marvin qui a passé 4 jours et 4 nuits dans le cockpit, non stop à la mercie des éléments, à se prendre paquets de mer sur paquets de mer. Il se croit à Aquaboulevard m'a t-il dit 😅. Une belle manière d'aborder les affronts de l’océan ! Ses yeux sont rouges et éclatés comme s’il s’était pris des rails de coke ou des lignes et des lignes d'ecstasy. Puis Cahuète, notre vieille hyène première sur le podium de la catégorie “dure au mal” qui n’a pas fini de nous surprendre… Faire ses besoins sur le pont du bateau demande à rassembler toutes ses maigres forces et relève donc d'un acte héroïque et sur-chien ! 2 fois caca et une troisième tournée prête à être livrée. Dans une petite heure, je me dis qu’elle déploiera ses patounes sur un bon vieux ponton et lâchera ses grosses mines d’or de chien.Le vent dans le nez lorsqu’il faut entrer dans la petite marina requiert un ultime effort physique et mental. Awen Atao, à Santa-Maria depuis 1 semaine, nous attend et se tient prêt à nous remorquer si besoin. Nous avons notre amie Loulou au téléphone et lui disons que nous allons d’abord essayer seuls comme nous l’avons toujours fait. La première tentative ratée, la deuxième nous fait passer victorieusement entre les deux môles. Nous tirons 6 à 7 bords sous les regards attentifs (et osons le dire, ébahis) d’un petit comité d’accueil que je remarque seulement après les 5 premiers virements. Et heureusement ! Car la haute pression exercée par la seule réalisation des manœuvres, à lutter de plus contre les forces puissantes de la léthargie suffisent franchement à eux-mêmes. C’est un triomphe. Nous accostons lentement mais sûrement, aidés par une poignée de personnes qui deviendront plus tard de bons copains de pontons 😊.
.Arrivée comme un cheveux dans la soupe dans le délicieux bouillon mijoté et gardé à bonne température depuis plusieurs jours déjà, nous intégrons aisément la petite communauté existante du port de plaisance, aidés par l'introduction de notre amie Louise (Loulou). Notre accostage inhabituel attise en sus la curiosité et aide à l'échange avec autrui. Nous sommes alors comme une touche pimentée (d’après Loulou) à la joyeuse soupe sociale du quartier dont les maisons sont des voiliers.
Les jours passent et nous récupérons petit à petit un peu plus d'énergie. Autre que le repos, nous puisons dans le rapport au voisinage pour nous requinquer. Que ce soit au détour d'une ruelle du ponton D, avec Luc et son Baluchon (voilier de Yann Quenet version grand luxe !) par exemple, que nous croisons tous les midis, ou bien, en soirée à l'espace barbecue où se rassemble une bonne vingtaine de personnes liées par le lien du sel. Ici aux abords de la digue et des roches, exactement là où l’excroissance bétonnée prend forme, une coulée de cette même matière a été déversée dans l'angle pour former une terrasse coupée du vent. Y ont été plantés, un barbecue en parpaings et un banc en béton puisqu'il en restait encore un peu dans la benne du camion… 2 tables de pique-nique surmontées d'un toit en tuiles pour ajouter un peu plus d'assises et de confort dans cet espace ludique. On s'y retrouve tous une première fois, le soir du 1er août, avec toutes les munitions nécessaires pour parfaire l'ambiance joviale extérieure et intérieure. Du poissons grillés à partager et pour l'oméga 3, du fromage pour l'haleine donc pour nourrir le sentiment d'unité et l'apport en lipide ; accompagné du bolo do caco (pain de Madère qui a voyagé jusqu'au Açores) à rompre ensemble et pour ses glucides source illusoire d’énergie. Nous n'oublions pas quelques bières pour arroser le tout, du vin et du rhum pour édulcorer un peu plus l'œuvre se métabolisant au sein des ventres et des veines puis pour ramollir le béton sous nos pieds chancelants. Tard dans la soirée, la température demeure agréable et douce. Plutôt que de se rentrer dans chacune de nos coquilles à échelle humaine, nous sortons les guitares de leurs houses et les voix de leurs corps. Tout le monde se prête au jeu et chaque petit être que nous sommes converge pour ne devenir qu’un. La musique rassemble et nous nous lasserons jamais Marvin et moi de s’unir aux autres au moyen de la musique et du chant ! Autre élément unificateur : Le café au café du port et les cookies sortis du four d’Awen Atao 😻 (Un délice !). Je ne compte plus le nombre de fois où nous nous réunissons sur la terrasse du “club naval Bar” pour checker les prévisions météos, déterminer une date de départ et établir un plan de route à peu près fiable. 3 téléphones portables, au moins, surchauffent de part une sollicitation à excès. Dimanche 10 août après-midi, ce ne sont plus que nos cerveaux qui surchauffent et nos cœurs qui s’effondrent. Les androids, depuis un certain temps, objets de notre hantise sont désormais mis de côté et injustement reniés… Alors que nous prévoyons de partir le lendemain matin et alors que cela faisait deux trois jours qu’une fenêtre météo se stabilisait, nous constatons à présent, on peut le dire, au dernier moment, que cette dernière part totalement en sucette et détruit brusquement tous espoirs de rejoindre le continent français. Nous étions tous mentalement prêts et avons tous déjà apprêter nos bateaux : rangement et aménagement en mode “navigation” (pour parer à la gite), ravitaillement en eau et en nourriture pour 15 jours (!!!), contrôle des appareils électroniques, choix du jeux de voile etc. Nous étions une flottille de 6, 7 bateaux et équipages comprenant une quinzaine de personnes résolus à prendre la mer après des semaines et des semaines d'attente. Gros coup dure pour tous et chacun d’entre nous se consolant à notre manière. Balade en solitaire, des heures reclus dans le bateau dans un cas, atelier cuisine en un petit groupe et confection de “croquettas” dans un autre cas. Bon nombre de fois, des pêcheurs locaux nous ont offert des thons quand bien même il n’y avait eu aucun échange ni même aucun regard partagés. Cela a fonctionné de la sorte pour des coups à boire sortis de nul part. Les gens ici sont d’une modestie et d’une générosité sans pareille.Une fois la pilule de la mauvaise nouvelle avalée, nous reprenons nos vies de “pontonniers” là où nous les avions laissées. Baignades dans les eaux dégueu du port, yoga et douches de ponton (c’est tellement plus agréable au grand air ! 😄), réparation de voiles mises de côté, pêche d’objets divers et variés malencontreusement tombés à l’eau et laissés à l’abandon tels qu’une enceinte Bluetooth et un tapis d’Awen Atao ou encore, un slip rebelle de chez Yes Aï. En dehors de cet espace à demi-terrestre, nous profitons entre autres, du temps supplémentaire que nous disposons pour nous lancer dans de petites aventures mémorables. 2 escapades jusqu'à la sublime Praia Formosa pour 2 sessions de surf totalement différente. Une fois nous partons la fleur au fusil, la planche sous un bras, l'autre bras et le pouce de sa main levés à la recherche d'une âme charitable acceptant de nous pick us up et nous drop us too au spot number one de notre convoitise. Et ça fonctionne ! Faire de l'auto-stop ici est un jeu d'enfant ! Autant que de surfer sur les jolies vagues de 80cm max sous un soleil ardant et dans un cadre fabuleux. L'autre fois, Fernando, un sympathique voisin de ponton nous propose les 3 sièges libres de sa Renault Captur pour nous envoyer à ce même endroit. 3 places, ça passsseee ! En mode Tetris avec nos 3 planches, nous retrouvons notre spot de rêve, entouré de montagnes verdoyantes et des vagues pour le coup un peu plus formées et puissantes. Personnellement, je sens les mois sans (surf) et les 2 cafés du matin. Marvin quant à lui retrouve vite ses sensations et sa dextérité à la Chiken Joe 🐔🏄. Également, plus motivés que jamais, nous ouvrons une marche qui nous a été conseillée. Vers la plus grande grotte de l’île nous a t-on dit… 3h de crapahutage, activité hybride composée de randonnée, d’escalade et de spéléologie. Munis de nos lampes de téléphone et de ma lampe frontale, nous entrons au bout d’une heure dans la grotte en question et découvrons avec stupeur sa grandeur. La plus petite de tous (comme d’hab), je me faufile en rampant dans une galerie au ras du sol, minuscule et en forme arrondie dont je n’en vois pas la fin. J’avance et au fur et à mesure que je progresse, je sens que l’air s'amenuise. Je reste vigilante et ne m’affole guère. Il en reste suffisamment pour suffire à gonfler pleinement mes poumons. Il fait totalement noir, aucune lumière ne pénètre dans ce mystérieux couloir souterrain. Heureusement, je porte ma frontale qui me permet de ne pas me tamponner en pleine tête une saillie rocheuse. Au bout de quelques minutes, on me convie à rebrousser chemin. 1 fois, 2 fois, 3 fois… La quatrième fois, je coopère avec un “oui !” plus franc que les précédents “oui, oui..” évasifs.
Finalement, le jour du réel départ ne tarde pas à arriver. 4 jours après notre désenchement, nous prenons au vol la possibilité de remonter nos manches et ce lunatique Atlantique. Cette nouvelle fenêtre n’est pas franchement idéale, il va falloir être bon. Tricoter entre les flux de vent et éviter les poches de pétoles, voilà notre occupation à venir pendant une dizaine de jours.. Au moins, la mer quant à elle devrait être accommodante, c’est toujours ça de pris ! Notre caravane n’est plus au complet. Devrais-je dire alors, notre caravane n’est plus, tout court. Certains équipages sont partis un jour avant notre départ, d'autres quelques heures avant. Pas très étonnant au vu de la versatilité des prévisions annoncées. Nous restons cependant en lien via un groupe WhatsApp nommé “Road to Chouchen”.
Pendant 15 jours, l’histoire d’un groupe s’est créée à Vila do Porto. Des personnes partageant une même passion se sont rencontrées en un même espace et ont établi des liens plus ou moins solides. Les interactions sont également des pages qui s’ajoutent au livre de la propre histoire personnelle de chacun. Puis, aussi vite qu'elles se sont écrites, elles se sont tournées pour laisser place à une suite d'événements encore inconnue à l’heure actuelle. Éphémères, ces histoires portent tout de même une trace éternelle dans les personnages qui l’ont animé. Car si ce qui est passé n’existe plus, le souvenir quant à lui reste et continuera de vivre en chacun de nous…
Awen Atao et Yes Aï, comme deux bons vieux frères qui se sont retrouvés ne se quittent plus. Tout le monde à son bord, Blandoche, Marie-Lou, Loulou, Vigo 🐶et Olaf 🐶 dans l’un, Marvin, Océane et Cahuète dans l’autre, nous larguons les amarres jeudi 14 août à 16h. Dans un premier temps, nous sommes remorqués jusqu’à la sortie du port grâce et par Michel, le moteur d’Awen Atao. Sans lui, il nous aurait fallu un peu plus de temps, de patience et de technique pour s’extraire de notre emplacement…
Tudo bem ! Nous revoilà hommes-poissons, de nouveau plongés dans ce monde océanique. Des conditions que l’on connaît déjà (cela reste toujours relatif ceci-dit) mais pour un temps record encore jamais expérimenté : 10 jours en mer minimum ! Je m’attends à tout et en même temps à rien puisque je ne sais pas à quoi m’attendre. Quelles vont être les véritables conditions météos ? Quelle va être ma vie intérieure dans un contexte nouveau et exigeant ? Nous remontons la côte Sud-Est de l’île et durant ces premiers milles, l’appréhension laisse place à l’excitation. Celle de s’aventurer dans quelque chose de nouveau et atypique comme j’ai toujours recherché et aimé le faire. Est-ce pour moi une façon de me sentir vivante ? Probablement. Une manière de rehausser l’estime de soi ? Certainement ! Auquel cas je vivrais mal cette expérience, ressentirais la mort plutôt que la vie et me mordrais les doigts d’avoir tenté le coup pendant toute la traversée, je me dis déjà la chose suivante : Je me sauverais de moi-même par le fait est que j’aurais au moins eu l’audace de me jeter dans la gueule du loup.