Dimanche 20 juillet, 10h30, dĂ©part chaotique⊠pour changer ! Le vent dans le nez ne nous permet pas de quitter le quai facilement alors, pour ce faire, nous demandons de lâaide auprĂšs dâun Ă©quipage français, Ă©galement Ă quai en amont de notre emplacement. MalgrĂ© les conseils avisĂ©s de Marvin prĂ©alablement donnĂ©s sur l'enchaĂźnement des manĆuvres Ă rĂ©aliser, il semblerait que ces gens serviables nâont pas vraiment compris le propos ou par crainte de se rapprocher trop prĂšs de notre bateau, le capitaine Ă la barre dĂ©cide de faire autrement. RĂ©sultat, son bateau nâa rien mais le nĂŽtre se retrouve rapidement sur les cailloux aux abords du quai sur son entrĂ©e. Câest toujours douloureux de voir la scĂšne se rĂ©pĂ©ter sans que lâon ne puisse rien faire et dâentendre ce bruit dâimpact de lâĂ©trave sur la roche. Dans cette histoire, le cĆur de chaque Ă©quipier est bien plus Ă©corchĂ© que le bateau lui-mĂȘme. Le remorquage se termine Ă peine 10 minutes plus tard dans la zone de mouillage se trouvant Ă gauche de lâentrĂ©e du port. Nous jetons lâancre afin dâaller contrĂŽler lâĂ©tat des Ćuvres vives (parties immergĂ©es de la coque dâun bateau) avant de prendre le dĂ©part. Ăvidemment, nous ne souhaitons prendre aucun risque et il serait dommage de couler le bateau aprĂšs tout ce quâil a traversĂ©, câest le cas de le dire ! Marvin qui avait pris une bonne douche la veille pour se mettre bien physiquement et psychologiquement avant la longue croisiĂšre vers les Açores, saute Ă lâeau muni de ses lunettes de plongĂ©e. Bien que la tension soit Ă son comble, que la situation soit tout Ă fait tendue, jâesquive un sourire. Ce masque transforme son visage et lui donne un aspect Ă©trange. Je n'ai pas l'occasion tous les jours de voir des yeux de mouche chevauchant une bouche de poisson, entourĂ© dâune criniĂšre de lion ! đ€ Je mets de cĂŽtĂ© mes blagues Ă 2 balles car Marvin nâest pas du tout dâhumeur Ă rire et est encore sous le choc. Ă vrai dire, je crois que je le suis aussi sauf que je gĂšre mes nerfs et mes Ă©motions dâune toute autre maniĂšre aujourdâhui. Rire pour dĂ©tendre lâatmosphĂšre et surmonter de façon lĂ©gĂšre les situations dĂ©licates peut ĂȘtre un moyen efficace de sâen sortir. En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, ça nâest pas celle que jâexprime automatiquement mĂȘme si jâaimerais et jâai lâimpression quâen ce moment mĂȘme elle a pris possession de moi. La peur panique, pour une fois ne me gagne pas mais Ă lâinverse, je dois Ă©touffer un rire nerveux pour ne pas braquer le capitaine Ă lâheure actuelle, hors-bord. Je ne sais pas pourquoi, jâai la certitude que rien de grave ne sâest passĂ© et quâaucune casse importante ne va ĂȘtre Ă dĂ©plorer. Verdict : Rien de grave. En effet. Marvin se hisse sur la jupe du bateau et me confirme que de petites nouvelles Ă©gratignures sâajoutent Ă la longue liste de balafres que portent notre courageux Yes AĂŻ mais rien de plus alarmant. Nous pouvons alors relever lâancre, hisser la grand voile avec une prise de ris, envoyer le foc 2 et glisser comme prĂ©vu vers de nouveaux horizons.Â
La premiĂšre partie de la navigation se passe bien. Rien Ă dire, on file un bon 4 nds jusquâĂ l'extrĂȘme pointe Nord-Est de MadĂšre, la Ponta de SĂŁo Lourenço. AprĂšs quoi, la situation se complique. Nous subissons une dĂ©rive au vent couplĂ©e dâun courant contre trĂšs important. 12h30, Marvin dĂ©cide de virer afin de vĂ©rifier si nous pouvons faire route vers les Açores au 300° environ. RĂ©sultat : mĂȘme en serrant le vent un maximum, câest-Ă -dire en Ă©voluant sur un prĂšs trĂšs, trĂšs, trĂšs, trĂšs, TrĂšs serrĂ©e, nous faisons cap au 280° Ă 3,5 nds seulement dans une mer courte âŠFace Ă lâadversitĂ© des Ă©lĂ©ments, nous nâavons dâautre choix que de revoir notre plan ce qui, en ce qui nous concerne, se traduit par revoir notre destination. Cela ne nous enchante guĂšre de naviguer des jours et des jours dans de telles conditions, pour le moins âdĂ©gueulassesâ. Certains le font, nous lâavons fait mais Ă ce stade, nous prĂ©fĂ©rons opter pour la solution beaucoup plus flatteuse : faire cap au Nord-Est vers l'Ăźle la plus septentrionale et la plus orientale de l'archipel de MadĂšre, Porto Santo Ă moins de 40 km de lĂ ! hĂ©hĂ© ! đ Marvin est finalement trĂšs heureux de ce changement de programme, lui qui a entendu de nombreux Ă©loges sur ce petit bout de terre atypique et perdu dans le dĂ©sert ocĂ©anique. Les Açores attendront donc encore un peu ! Le soir venu, malgrĂ© un vent capricieux et parfois faible ; ainsi quâune dĂ©rive toujours assez importante, nous voilĂ arrivĂ©s Ă âl'Ăźle DorĂ©eâ (en portugais : Ilha Dourada). Il nous aura fallu 8h30 pour enfiler au total les 30 000 milles sĂ©parant le port de Machico et celui de Porto Santo.
Ă ce que lâon dit, la nuit porte conseil. Le lendemain matin, nous dĂ©cidons de reculer encore un peu notre dĂ©part vers les Açores. Pas de surprise, le vent est cette fois littĂ©ralement annoncĂ© NE sur Windy. Il nous ferait face dans la direction que lâon souhaite prendre et devrait se renforcer les prochains jours jusquâĂ atteindre les 30 nds en rafales. Puisquâune meilleure fenĂȘtre semble se dessiner dâici une semaine, il serait saugrenu de forcer le passage pour gagner que quelques jours dâavance. Je ne le rĂ©pĂ©terai jamais assez : Tout vient Ă point Ă qui sait attendre ! Cependant, qui Ă©coute trop la mĂ©tĂ©o reste au bistrot. Nous sommes bien conscients de cette ambivalence et ne cessons de naviguer entre ces deux eaux pour faire les meilleurs choix possibles.Â
LâĂźle DorĂ©e, câest bien comme ça quâelle est surnommĂ©e. Pas besoin de marcher trĂšs longtemps pour deviner l'essence mĂȘme de cette appellation. Il suffit de sortir de lâenceinte du port, passer dâun cĂŽtĂ© ou lâautre pour cĂŽtoyer cette couleur, symbole de la richesse. Au sud-ouest, une plaine cĂŽtiĂšre embrassant lâocĂ©an par une longue plage de 9 km de sable dorĂ©.Au sud-ouest, une plaine cĂŽtiĂšre embrassant lâocĂ©an par une longue plage de 9 km de sable dorĂ©. Au nord-est, un paysage dĂ©sertique, accidentĂ© et montagneux aux reflets effectivement dorĂ©s, se terminant dans lâeau sous forme de falaises, certaines remarquablement dĂ©corĂ©es de corniches rocheuses.. La richesse de lâĂźle se trouve bien dans sa nature variĂ©e bien quâelle nâait une superficie de seulement 43 km2. On la retrouve Ă©galement ailleurs, quelque part qui nâest pas un lieu, quelque part qui nâest pas non plus visible Ă lâĆil nu. Insoupçonnables au premier abord, on dĂ©couvre des Ă©changes chaleureux entre rĂ©sidents du port et voyageurs. Beaucoup de français sont de passage ou ont rĂ©solument Ă©lu domicile ici. De qui en premier, entre la beautĂ© de lâĂźle ou la beautĂ© des rencontres a sĂ©duit le cĆur de ces marins, au point de les faire rester ici indĂ©finiment ? Jâai mis de cĂŽtĂ© mes questions psychologiques et indiscrĂštes, plutĂŽt ennuyantes pour ce milieu majoritairement masculin et par la mĂȘme renfrognĂ© đ€. Alors, nous ne le sauront jamais ! RenfrognĂ© jâai dit ? Oui bon dâaccord, mais ce sont des gens bienveillants et surtout altruistes. Câest la raison pour laquelle dâailleurs, un groupe sâest formĂ© autour de ce port. Une bande de barbus qui se rĂ©unit chaque jour des heures et des heures Ă refaire le monde autour dâune biĂšre au cafĂ© de la marina. Une cohĂ©sion est presque tangible et les regards posĂ©s sur nous invitent tout simplement Ă rejoindre ce groupe. On nous offre plus dâune fois le cafĂ©, et sommes invitĂ©s Ă une table ou Ă une autre, rejoints Ă la nĂŽtre en toute simplicitĂ© par un vieux loup ou par un jeune en escale depuis plusieurs mois. Cette amabilitĂ© partagĂ©e entre tous et qui arrive jusquâĂ nous est possiblement renforcĂ©e par la puissance de diffusion de radio ponton (comme le dit si bien notre nouveau pote Ugo. Oui Ugo sans H). Rapidement, on nous dĂ©signe comme Ă©tant les voileux sans moteur. Plus dâune personne nous ont vu entrer dans le port par lâunique support des voiles. Câest plutĂŽt rare de nos jours, nous le savons bien et apparemment, nous avons fait sensation sous les yeux de quelques personnes aux langues dĂ©liĂ©es. đFinalement, il nâest pas possible de faire 300m dans le secteur du port sans sâarrĂȘter pour discuter avec quelquâun. Parfois câest agrĂ©ablement, parfois câest fatiguant. Jâessaie tout de mĂȘme dâen profiter un maximum car jâen suis sĂ»re, plus tard, ce lointain souvenir nâaura que bon goĂ»t et me comblera dâune douce nostalgie. BientĂŽt, nous quittons cette oasis oĂč le temps semble sâarrĂȘter pour rallier la destination visĂ©e depuis quelques semaines dĂ©jĂ : les Açores.Â