Au petit matin de ce mardi 8 juillet, le départ n'est pas imminent du tout 🙉. En attendant que le vent se réveille, nous partons Marvin et moi fouler une dernière fois le trajet que nous avons emprunté chaque jours durant des semaines. Pas sans nostalgie et pincement au cœur. En outre de quitter un endroit qui nous aura tant réparé et soigné, nous quittons nos nouveaux copains, la Lady Flow crew avec qui nous avons partagé de si bons moments.
En parlant d'eux, nous les retrouvons en fin de matinée, prêts à leurs tours à nous filer un coup de main pour “générer” notre départ. Il est bien là l'esprit marin : fraternité et entraide. Derrière le môle, Éole s'est enfin réveillé et nous fait signe de bouger nos 7 fesses… Alors que Marieke libère et nous balance les amarres depuis le quai, Sébastien tracte notre svelte bateau vers la sortie du port avec son annexe au moteur électrique. Après 8 mois de voyage à la voile, je suis encore stupéfaite et fascinée par la poussée d'Archimède et l'influence qu'elle a sur le poids de toutes choses flottantes. Non pas que je remets en doute la force du moteur électrique et celle de notre brave Sébastien qui sert de lien entre notre embarcation et la sienne mais cela reste impressionnant tout de même 😄.Tchao les copains, à une prochaine fois ! Ici ou ailleurs, sur terre ou sur les flots, nos chemins devraient se recroiser 🙋♀️🙋♂️💞.Une bonne heure durant, nous parvenons à entrer en interaction avec Eole qui nous fait longer la côte sud-ouest de la Gomera. Ensuite, plus rien. Il nous abandonne là comme de vieilles paires de chaussettes usées. C'est le coup de grâce, après de longues minutes de patience, Marvin pête un câble et il y a de quoi. Il me dit se sentir esclave du bateau dans ces moments là, où la perte de contrôle s'exprime intensément et force au lâcher prise. Plus d'air pour gonfler nos voiles et pas grand chose pour gonfler nos poumons non plus. Sur l'eau, à la merci des courants et des vagues qui viennent également titiller nos nerfs, nous sommes en plein cagnard à espérer grappiller le peu de kilomètres qui nous séparent du vent de nord-est apparent au loin à la surface de l'eau. Nous nous sommes lancés pour une grande traversée, plausiblement jusqu'au Açores et déjà 4 heures après notre départ, nous sommes encore au bord des côtes gomériennes à lutter pour maintenir Yes Aï face à la houle, pointant le nez vers le large. Finalement, nous nous sortons de ce pétrin. La pétole est devenue molle pour se transformer en petite brise. Nous reprenons contact avec Éole qui fait maintenant giter Yes Aï sur son côté bâbord. Plus que le plan physique, c'est le plan nerveux qui se prend de bonnes mandales en mer 😅.
Marvin préfère ça et malgré la fatigue fait cap au Nord. En cours de chemin, nous savions que nous avons la possibilité de s'arrêter à l'île de La Palma. Puisque nous avons d'emblé pris du retard sur la courte fenêtre météo nous permettant de filer jusqu'aux Açores et puisqu’un plan B existe selon les prévisions, on décide de s'arrêter à Santa Cruz pour 2 nuits.Ce soir, la nuit est sombre. Marvin choisit le long quai en amont du port passer notre première nuit et parce que le port fermé par de grandes portes ne répond pas à nos appels. Aussi noir que le ciel, le quai sur lequel pends de gros pneus de camion en guise de pare-bats lui donne un aspect obscure et inhospitallier. C’est cependant essentiellement l'accueil humain sortant le carton rouge qui donne à cette arrivée une couleur atrabilaire.Nous sommes rejoints par la GNR qui grossomerdo, nous ordonne de partir là où nous pouvons uniquement aller : vers le large. Considérant que nous ne sommes pas autorisés à entrer dans le port pour motif que nous n'avons pas de moteur et parce qu'il est interdit de s'amarrer sur ce quai long de 500m approximativement, complètement nu ce qui pose question de son utilité 🤔 (à moins qu'il n'y est des bateaux fantômes👻), il n'y a aucune solution sinon de payer plein pot un remorquage par la SNSM ou reprendre la mer à 1h00 du matin. Fatigué ou pas. Conclusion : on trouve l’aide uniquement lorsque l'on a atteint une situation critique et à condition qu'on a le fric pour la recevoir. C'est alors ça l'assistance de personne en danger ? Il n'y a donc aucune considération du bien fondé d'un connu dicton : “Mieux vaut prévenir que guérir” 🙃La garde civile, sincèrement désolée, repart à la façon dont elle est arrivée. Pleins feux aveuglants et triplette de gyrophares servant la politique de la peur. Nous ne mettons pas longtemps à décider ce qu'il est bon de faire pour notre bien-être et notre sécurité. Nous finissons de ranger et d'arrimer tout sur notre bateau avant d'aller au lit. On se met d'accord sur un point : S’ils reviennent, on fait les morts. De toute manière, aucune loi ne les autorisent à poser ne serait-ce qu'un doigt de pied à bord. C'est une propriété privée et il leur faudrait un mandat pour le faire. Nul doute que ces gardiens de la sécurité civile ne tarderont pas à revenir sur l'allée bétonnée séparant la mer de la terre pour vérifier si nous avons été de bons soldats ou s'ils ont affaire à des jeunôts rebelles et indisciplinés. Bingo, 2 heures plus tard, nous nous réveillons sous des lumières intenses projetées depuis des lampes torches de haute qualité certainement. On nous siffle et on nous appelle avec insistance pendant de longues minutes. “Hola, hola, hola,holaaaa !” Cahuète répond au sifflement par un aboiement mais cela ne réveille pas les morts allongés dans leurs cercueils submersibles 😳. Nous ne sommes pas à notre première expérience de ce genre. C'est que l'on a un passif très ardent dans ce qui est de se dépatouiller avec la loi terrestre, gardée par des hommes et des femmes engagés corps et âmes dans leurs jobs exemplaires et ne comprenant rien aux règles naturelles de l'océan… ! “Hola, hola, hola, holaaaa !” ces mots raisonnent dans ma tête, je n'ose pas bouger malgré une envie montante d’uriner ! 😬. “Tu peux y aller, la marée est basse et là où tu es, ils ne peuvent pas te voir !” m’indique Marvin. Tout en sachant ça, je me vois me déplacer délicatement avec lenteur et sans bruit, comme si j'étais une fugitive sortie de prison ! 😂 Nous en venons à en rire tellement la situation est comique et la scène risible 😅. Ces hommes repartent et fatigués au plus au point, nous nous rendormons. J’en suis en outre la première étonnée. Visiblement, je parviens maintenant à avoir un lâcher prise bien que l’épreuve soit parfaitement inconfortable 😲 Il faut croire que je m'habitue et que la peur me quitte. Cette peur dénaturée, une autre que celle du cerveau reptilien. Une peur finalement constante dans ce monde qui en est régi, entretenue par nos propres soins. Cette nuit, on dirait bien que celle de s'opposer à la loi et de se confronter à ses protecteurs ne me touchent plus. J'en ai plus riiiiieeenn à foutre ! 😲😄 Insensé et injuste, ils ne peuvent rien faire et nous pouvons nous rendormir paisiblement. 1h plus tard, récidive, 2ème extraction d'un sommeil lourd et profond. “Ahh.. Ils sont de retour… 😵😴” dis-je à Marvin. “On fait quoi…Rien ?” “Boh ouai” me répond t-il à demi éveillé. Jusqu'au moment où ces hommes de loi jouent avec nos amarres dans un ultime espoir de faire apparaître nos tronches de cake hors du bateau. Ce geste débile mais justifié par l'exercice des fonctions de ces hommes frustrés et touchés dans leurs égos, envoie le balcon arrière de Yes Aï dans le mur du quai. Aïïïeee ! 😱 Marvin implose et retient une colère palpable que je ressens depuis la cabine avant dans laquelle je me trouve. Il se contient et parvient à calmer son élan de rage. Rien n'y fait, nos persécuteurs abdiquent ½ heure plus tard, faisant cesser le tapage nocturne pour le reste de la nuit. 3h du matin, ou peut-être 4h ? 🤔 Nous ne préférons même pas regarder l'heure. Quand bien même une troisième intrusion dans notre sommeil n'aurait pas lieu, nous savons que la nuit va être courte. Demain, aussitôt que possible, nous appellerons le port pour signaler notre arrivée sans décliner notre identité et tenterons notre propre intrusion à la voile ou à la godille dans le port de Santa Cruz. Le but est d'éviter d’une part une interaction matinale avec la GNR d’autre part, attendre la bonne fenêtre météo d’ici 1 jour et 1 nuit avant la nouvelle grande traversée revue à la baisse. 4 ou 5 jours vers Madère ou Porto Santo 🤞. 7h30 mercredi 9 juillet, je suis réveillée par Marvin qui s’affaire déjà sur le bateau. Le temps d’enfiler des vêtements et je le rejoins pour mettre le plan à exécution. 1ère tâche : Appeler le port pour que les portes magistrales s’ouvrent. Done ! Par chance, la dame au téléphone ne nous a pas demandé le nom du bateau avec lequel elle aurait pu faire le lien avec l’appel passé la veille par la garde civile en notre nom. Tâche n°2 : Quitter le quai en toute discrétion avant que la GNR ne nous interpelle. Discrétion et déplacement à la voile dans un chenal exempt de tous autres bateaux … Je n’appelle pas cela être discrets et la preuve en est car 5 minutes après avoir détaché nos amarres, les voilà sur la place à nous siffler. Heureusement, le simple fait de connaître le point final de notre déplacement suffit à ce qu’ils nous lâchent la grappe. La suite, rien de bien méchant et rien de nouveau sous le soleil. On nous fait le serment une fois de plus qu’il n’est pas autorisé de bouger dans le port à la voile et qu’un bateau sans moteur ne devrait pas se trouver là. On nous autorise à rester sur un ponton soit disant le temps de régler la panne. (Hein ? Quelle panne ? AAAaah oui le moteur ! 🤣) et on omet pas de nous faire payer la nuit. L’homme qui s’est présenté comme le manager de la marina La Palma a fait son job en déballant son discours et derrière, fait le mort et ferme les yeux sur notre présence ici.
Jeudi 10, on nous laisse effectivement tranquille jusqu’à notre départ le lendemain, initié évidemment par une sortie illégale à la grand voile 🤭. 2 jours et demi en mer est le maximum que l’on ait vécu depuis notre départ de Bretagne. À partir d’aujourd'hui, il s’agit de quitter la terre ferme pour un minimum de 4 jours. Nous oscillons entre appréhension et excitation. Nous avons lu et avons parlé de cette expérience de nombreuses fois. On nous a dit qu’elle était incomparable et indescriptible. Les mots ne suffisent pas à décrire exactement les sentiments et les émotions qui s’en dégagent. Il faut la vivre pour la connaître. Une chose est sûre, c’est que nous n’en sortiront pas indemne.
1 jour, puis 2 puis 3. Tous se succèdent mais ne se ressemblent pas. L’état de la mer et du ciel change en permanence jouant avec les limites de la physique. Le temps ne se compte plus en minutes mais en couleurs, passant d’un bleu enivrant à un gris presque grisant. Captifs dans notre capsule miniature, nous ne manquons pas un seul coucher de soleil. Visible depuis les fenêtres de notre maison bravant les flots et les inter-flots, nous flottons dans les airs et sur l’océan entier s’endormant juste au pied du lit… Passant du rêve à la réalité, les deux se côtoient intimement. Aussi, la joie d’avancer et la nostalgie de quitter ne se vivent pas l’un sans l’autre. Quel marin voyage en ne laissant aucune trace derrière lui, pas même une pensée chétive avec un lieu visité ? Je n’en connais pas et je ne crois pas qu’il en existe. Puisque les mots n’ont aucun pouvoir sur l’expérience et puisque je souhaite honorer mon envie de vous partager la nôtre, voici ci-dessous un miroir la retraçant … Parce que comme l’a dit Mère Teresa : “Nous savons bien que ce que nous faisons n'est qu'une goutte dans l'océan. Mais si cette goutte n'était pas dans l'océan, elle manquerait.” 😜
Je n'voudrais pas vous saper l' moral les loulous, mais j'crois que c chaud votre situation. La règlementation vous protège avant tout. Un moteur hors-bord en secours à une défaillance humaine, toujours possible et imprévisible, à une météo alarmiste....Et, une rentrée zen au port ....La barraca, la grâce de l'Océan ! Quand les éléments ont décidé ..... Invincibles les jeunes .... Ceux qui vous aiment doivent grave s'inquiéter pour vous.... Tchao
Bonsoir hugo, pardon mais on se connait d'où ? 😬 Si cela peut te rassurer, ce que pensent les autres peut nous intéresser, en revanche cela n'influe pas sur notre moral. tu peux être tranquille avec ça 😁 Par ailleurs, nos proches vivent bien notre aventure et nous soutiennent. La vie sans risque n'existe pas et sa mesure est relative. Le curseur diffère effectivement selon les individus... Avec plaisir de se rencontrer et de parler de tout ça de vive voix 😉 Belle soirée !