.100 jours de voyage ! Ça se fête ! Article plus détaillé que d'habitude pour tenter de pousser un peu plus l'immersion.
Toujours en feuilletant les forums et en restant à l’affût de la moindre information susceptible de rendre ce voyage plus fou qu'il ne l'est déjà,une nouvelle lubie vient s'installer dans mon esprit. J'ai entendu dire qu'il serait possible de descendre le fleuve Amazone en cargo pour rejoindre la ville d'Iquitos, plus grande ville au monde inaccessible par la voie terrestre. Pour se faire, 3 jours à dormir en hamac sur le pont d'un navire de marchandises en compagnie des populations locales souhaitant voyager à moindre frais. Au delà de l'économie que me ferait réaliser une telle expédition, je vois surtout l'occasion de tester un mode de vie que je ne connais pas. Et si j'en parle ici, c'est que nous avons fini par y arriver.
Mais ce ne fut pas si simple !
Après avoir une nouvelle fois laissé Alex qui reste réticent à l'idée de retourner en forêt pendant le voyage, nous partons en duo direction l'Amazonie péruvienne. Avec Guillaume, nous connaissons seulement le nom de la ville de Yurimaguas où nous avons une chance de trouver le genre de barque susceptible de nous faire réaliser la traversée. Malheureusement une grève d'importance nationale frappe le pays, et c'est précisément la route que nous devons prendre qui est bloquée par des agriculteurs depuis 15 jours. Aucun collectivo ne souhaite emprunter cette route de peur de se faire caillasser, dans le meilleur des cas... A force de persévérance nous finissons par trouver un courageux réalisant le trajet, car des horaires de paix seraient en train d'être négociés par le gouvernement. Nous sautons à l'intérieur du van non climatisé où s'entassent une douzaine de péruviens direction l'inconnu.
Le van roule à vive allure. Sa conduite inquiète même les habitués. En effet notre chauffeur a peur de rester coincé de l'autre côté de la grève si il ne se dépêche pas. Il double sans aucune visibilité, se rabat dans des espaces bien trop étroits pour notre véhicule et n'hésite pas à traverser une station essence à pleine vitesse et à contre sens pour gagner de précieuses secondes. Le crucifix qui balance sur le rétroviseur est alors notre unique protecteur. A l'approche du barrage il s'engage sur un petit chemin en terre, et accroche le bas de caisse à chaque ornière. Je vois venir le moment où nous allons devoir sortir pousser le minibus, mais par on ne sait quel miracle, nous rejoignons de nouveau la route. Nous avons passé la grève ! L'ambiance dans le véhicule se détend.
Après quelques autres changements nous arrivons de nuit à Yurimaguas. Au petit matin nous nous précipitons au port du village. Amarré sur le quai, un bateau semble attendre. Jouant d'un accent espagnol quelque peu douteux, nous faisons comprendre aux vigiles que nous souhaitons monter à bord. Chose plus facile que prévue nous rejoignons la cale en quelques minutes. Quelques nœuds de chaise plus tard, le hamac est monté. Nous remarquons rapidement que nous sommes seuls, alors que le départ est prévu pour 18h. Seule une étrangère comme nous a installé ses affaires. Nous faisons la rencontre de Anabella, néerlandaise de 19 ans qui est partie comme nous, seule faire le tour d'Amérique du Sud. Je suis impressionné par sa maturité, la comparant tour à tour à moi 4 années en arrière et à ma sœur qui possède le même age. Je ne sais pas si l'un comme l'autre nous pourrions assumer un tel voyage à cet âge. Nous partagerons les 4 jours de traversée avec elle.
4 jours...
Effectivement à la dite heure du départ, je m'impatiente tandis que l'excitation du départ monte. Mais les travailleurs s'affèrent toujours dehors à décharger des remorques entières. Le capitaine m'annonce que le départ est décalé au lendemain midi. Petite déception, mais nous retardons seulement l'échéance. D'autant qu'il me certifie "a cien perciento" que nous n'aurons pas plus de retard. Evidemment, le lendemain midi toujours personne sur le bateau et il reste de la place dans les soutes. Je m'agace, nous avons réservé les billets retour depuis Iquitos et les jours sur place s’effritent heures par heures. Finalement les locaux finissent par monter sur le bateau, et à 18h nous partons enfin. Je pense que nous étions les seuls à ne pas connaître le véritable départ... Noob.
L'air créé par la vitesse du cargo sur l'eau rafraîchit l'intérieur de la cale. La vie est simple. J'aime m'installer tout en haut pour regarder le paysage de jungle défiler à l'infini, comme les bandes décoratives piégées dans un cylindre en plastique durant notre jeunesse. Quelques dauphins s'amusent à sauter dans les remous du bateau. A chaque arrêt dans les ports, j’initie à la pêche à la ligne Yuka et Aryn, frère et sœur en pleine fougue de la jeunesse . Quel bonheur de voir leur visage s'illuminer quand ils finissent enfin à sortir leur premier poisson. Ils consommeront l'essentiel de mon temps et de mon énergie. Mais après tout je n'ai pas grand chose à faire et cela m'occupe bien. Et puis les enfants sont sans filtre alors j'aime le contact qu'ils ont avec nous.
L'hygiène est précaire et la nourriture pas réellement excellente. Nous nous douchons dans des cabines servant à la fois de toilettes de de douches alimentées avec l'eau de la rivière. La nourriture elle aussi est cuite dans cette eau saumâtre, la confiance que j'accorde aux plats sortis des cuisines est assez bancale. Mais nous finissons par prendre le rythme de la vie locale jusqu'à nous surprendre à apprécier la toilette du matin.
Comme perdu dans un temps distordu, j'entends soudain retentir le nom de notre destination. Nous plions bagage en vitesse et nous sortons de notre grand dortoir. Sur le bord du rivage de nombreuses personnes attendent les voyageurs. L'émotion du moment me donne l'impression que je rentre de guerre. Nous avons survécu. A nous l'Amazonie !
Le temps que nous avons perdu à attendre le bateau a été mis à contribution pour réduire les temps de recherche. A la descente du bateau nous avons déjà réservé un guide pour partir dans la forêt. Le programme est très flou mais nous payons bien moins cher que si nous avions dû réserver sur place. Pedro nous fait signe, nous le rejoignons pour un petit déjeuner directement chez lui. Il nous a réservé une chambre dans sa maison, qu'il met gratuitement à notre disposition au besoin et sa femme nous sert des œufs, du pain, du fromage, ... On ne rigole pas avec les invités !
Après cette agréable surprise nous faisons la rencontre de Percy, notre guide dans la forêt avec qui nous passerons les 3 prochains jours. Tout aussi jovial que Pedro. Nous préparons le contenu de nos sacs et embarquons sur la pirogue qui nous servira de camp de base durant la durée de l'aventure. En arrivant j'observe le contenu de la barque : de la nourriture plus qu'il n'en faut, une bouteille de gaz et des plaques, des cannes à pêche, une lance, des tentes et matelas, ... Je ne sais pas ce qui nous attend, mais cela ne ressemble pas vraiment au confort de Cuyabeno et c'est tant mieux !
Et je ne m'étais pas vraiment trompé. Nous alternerons croisière en bateau dans les affluents de l'Amazone, balade en forêt et chasse nocturne. Nous nous nourrissons de notre pêche du jour essentiellement composée de piranhas et autres espèces équivalentes, des fruits de la forêt qu'il nous apprend à reconnaître et à goûter, et des nombreux condiments que Percy a pris avec lui. A la tombée de la nuit nous nous enfermons dans la barque pour dîner. L'odeur des serpentins éloigne les marées de moustiques affamés, mais provoque en moi une madeleine de Proust, me rappelant les parties de tarot endiablées en Corse avec mes parents. En vrai chef cuistot, Percy allie les saveurs et les quantités pour nous proposer des repas aux saveurs de la forêt. Croyez le ou non, mais je n'ai jamais autant mangé de mon voyage que dans la forêt. Le feu crépitant devant les tentes je m'endors sur le maigre matelas fourni par le guide.
Les nuits sont dures et courtes. Je me réveille régulièrement lorsque la subtile mais ravageuse vibration du moustique se fait entendre proche de mon oreille. Je ne sais comment mais ils se débrouillent toujours pour rentrer par dizaines à l'intérieur de la moustiquaire. J'entreprends un génocide en bonne et due forme à toutes les heures de la nuit. J'entends que la même guerre a lieu dans la tente voisine, chez Guillaume, cela me réconforte un peu. Le matin au réveil je dénombre pas moins de 107 individus attendant sagement posé sur la porte de la tente pour prendre leur petit déjeuner... Nous ne sommes pas les bienvenus ici !
Hormis cet aspect très désagréable de la forêt nous avons pu observer des lieux aux couleurs magnifiques, des animaux spectaculaires (singes, oiseaux, paresseux, ...) et même participer à une chasse de nuit aux caïmans. J'avoue que c'est un peu ma faute. Quand Percy nous a lâché au détour d'une banale discussion qu'il pêchait les petits crocodiles à la main pour les manger, j'ai tout de suite voulu voir ça.
Le soleil tombe sur le lac. Nous sommes à 1h environ du campement et nous attendons l'obscurité totale. Les caimans se repèrent plus facilement dans la nuit car leurs yeux rouges reflètent la lumière des frontales. Nous avançons à la rame dans les méandres sinueux et silencieux de l'Amazone. Le silence de la barque se mélange parfaitement aux bruits de la nuit. Au loin des singes hurleurs imitent le bruit du vent dans un cri guttural effrayant. Une ambiance digne d'un film d'horreur. Soudain Percy nous fait signe au loin, il a repéré dans un bosquet les deux points rouges significatifs de la présence du reptile. Nous éteignons les lumières pour avancer le plus discrètement possible. J'ose à peine respirer pour faire le moins de bruit possible, ordonnant si je le pouvais à mon cœur d'arrêter de battre. La lumière de Percy se rallume, nous sommes à quelques mètres du bosquet. Il me fait signe de lui faire passer le trident. Dans une extrême délicatesse je le lui dépose dans la main. Percy se lève. Nous sommes à moins d'un mètre de l'animal. Je me tends. A chaque instant le bras de notre guide pourrait fondre sur l'animal. Que fait-il ? Pourquoi ne l'attrape t-il pas ? Je piétine, Ma vision se réduisant à un mince filet de lumière.
Rien.
Percy redescend son bras. L'animal s'en est allé. Je suis un peu déçu de ne pas avoir pu goûter du crocodile, ça aurait fait une sacrée histoire à raconter ! Mais nous avons eu l'ensemble des sensations du chasseur nocturne et rien que pour cela, l'expérience en valait la chandelle.
Nous rentrons épuisés de ces jours de survie dans la forêt avec l'envie de retrouver enfin la civilisation. Mais nous ne regrettons rien et l'expérience insolite nous a enchantés. Moi qui rêvait de survie j'ai été servi ! Nous avons pu sentir les limites d'un citadin dans un milieu hostile à l'homme et ce n'est pas plus mal pour se rappeler avec humilité l'animal fragile que nous sommes.
Ton blog se lit comme un roman d aventures : des découvertes de lieux extraordinaires, des rencontres qui te font cheminer, de l' adrénaline avec la chasse aux caïmans et une belle et profonde introspection... Avec en bonus des photos superbes! Continue de nous régaler et surtout de te régaler ! Bises des Rouchy de Clermont qui suivent tes aventures