Denouement

A force de battre le pavé devant les portes de la Russie, je vais pouvoir enfin rentrer dans la forteresse que j'ai, l'espace d' un instant, pensée  imprenable. J'ai fait mieux que Napoléon ! En plus je suis attendue. Je n'aurais jamais eu une arrivée aussi confortable : Tamara m'attend Lundi  à 15h dans le port de Vladivostok à l'arrivée du Ferry... si j'arrive. Rien n'est jamais gagné, mais la chose est possible.

La balle de flipper

Je croyais que je tenais les manettes, mais j'étais la balle.  Sans paiement par internet  le champ d'action se limite au bus et au metro.. La dernière station n'est pas "Vladivostok" et les correspondances en bus par la Corée du Nord  sont  interrompues depuis l'époque de la Route de la Soie. .   Le voyage en bateau est passé à côté du trou.   La partie était  perdue d'avance. mais je ne le savais pas : Je n'ai pas de paiement par internet à l'étranger (tous les voyageurs l'ont!) . On  n'a  pourtant pas lésiné sur les moyens. Mamoru m'a passé sa carte bleue, Ils n'ont sans doute pas aimé la carte japonaise pour la française. J'ai évité le pire:  je voulais partir jusqu'a Donghé, port d'embarquement et voir sur place. En fait, Il n'y a pas d'agence physique pour les Ferry c'est-à-dire, pas de bureau sur place.  Nous sommes des balles de flipper, nous nous cognons contre les butées, alors que le joueur s'excite aux commandes.

Si l'on compare les feuilles de route on constate évidemment que j'ai un petit poids dans la cervelle.C'est sans doute ce que  pensent ceux qui tiennent les manettes,  alors ils pensent pour moi.  :

•  Par le Ferry ; 3 jours de voyage  (metro jusqu'au terminal de bus à petaouchnok avec 30 kg de bagages + une heure et demi de bus  jusqu'au port +une nuit d' auberge+24h de bateau) . Coût 370 000 wons
•  Par  avion (bus pour l'aéroport en bas de la rue , et deux heures de vol).  Coût 310 000 wons.

Je voulais vraiment arriver par la mer  de l'est dans le port de Vladivostok. Mais que faire? Mamaru a la réponse "Rainette, you can swim!"

Vladivostok-Novossibirsk. 4 jours de train ou 6h d'avion ? Je rage : je ne reverrai pas ma chère Galina à Irkoutsk, ni la partie Baïkal-Amour qui est  la plus belle du transsibérien.  Michèle je ne m'arrêterai pas non plus à Krasnoiarsk. Mais que faire? Je dois être, sans faute, le 15 juillet à Perm où un petit chantier m'attend et j'ai , il me semble; pour ce chantier; de belles idées. Prendront-elles forme? Il faut en tout cas s'en donner les moyens et les moyens passent apparemment  par les compromis. C'est tout nouveau pour moi. Les jeunes l'ont compris depuis longtemps.

Le restaurant Pierre Gagnaire à Séoul.

Une belle rencontre : Frédéric, le chef du restaurant. Encore la vieille garde ! Philippe a dit à Pierre et Pierre a dit au chef  ... Je n'osais pas. Ce n'est pas mon monde, bien que j'ai une admiration sans borne pour  le travail de ces professionnels qui associent création et savoir faire. Le restaurant se situe au 35e étage (le dernier) du plus luxueux hôtel de Séoul. Je me suis habillée propre et j''ai appuyé sur le bouton de l'ascenseur qui m'a propulsée, sans que j'ai le temps de m'en apercevoir, au 35 étage.

On l'a compris, je ne me suis pas ennuyée. Avec Frédéric, on ne fait pas dans la dentelle et l'on va droit au but. Tout y est passé, la politique*, l'écologie, l'éducation, l'art, l'état de nos vies,  de la France  (il a voulu rendre son passeport, mais il ne savait pas quelle nationalité prendre), de la Corée, de la planète... 3h à l'écouter bouche bée, dans la cuisine  au milieu des marmites et des marmitons. Son contrat terminé, d'ici deux ans, il rentrera en moto de Shangaï en France. Finalement il rentrera!

*La loi El Khomri, c'est un  scenario identique à  celui de  l'entreprise Coréenne. Fredéric a assisté à une négociation récemment  chez Lotte (son employeur). Les petits (ceux qui ont les pieds et les mains dans l'eau de vaisselle ou dans le caca selon l'endroit où ils se trouvent)  sont broyés, voire malmenés, parce que  pris en otage tour à tour par  les cadres et les syndicats pour obtenir leurs voix. C'est pathétique (j'ai eu un rapport détaillé). Vous voyez, même loin, on suit...

La mediatheque de l`Institut Francais

Se retrouver dans un endroit spacieux`lumineux et silencieux est un vrai bonheur. Le fonds,  dans tous les domaines` est d`une richesse incroyable. Il y a un  mois l`inscription avait quelque peu greve mon budget (il faut s`inscrire pour un an!) mais la carte est bien amortie. J`ai pu emporter en voyage le Lonely Planet du pays et plusieurs romans d`auteurs coreens. J` ai aussi passe pas mal de temps  a consulter les magazines,  lire des BD coreennes et prendre des notes.

Dimanche 26 juin

Un grand moment d`emotion  Mamoru avait passe discretement, la veille,  3/4 d`heures de pliage complexe pour realiser une rose en origami et me l`offrir. L`ultime pliage a ruine le projet. Il m` a ecrit  un message en japonais sur le papier chiffonne.J`ai delicatement glisse la rose defroissee  dans un livre russe qu`il m`a donne . Lorsque ce grand garcon elegant, si reserve,  m`a serree dans ses bras j`ai pleure, Nous nous reverrons en France ou au Japon. C`est la plus belle rencontre du voyage. Un petit bout de l`histoire seulememt est ecrite.

Lorsque l'on prend de la hauteur,  les blessures irréparables générées par la croissance économique forcée disparaissent. Pourtant elles sont bien là. Partout, dans tous les pays traversés l'emballement est évident, constructions, infracstructures routières, déchets ravagent des paysages naturels et urbains qui, il y a sans doute quelques années encore,  devaient être emouvants. Il est à l'ordre du jour de sauver la planète. La planète se portera mieux lorsque l'homme aura disparu. Effectivement il paraît ridicule et dérisoire d'éviter de prendre l'avion. Mais lorsque l'on a 65 ans le ridicule, on s'en fou.