Battambang : moments de partage en famille

Publiée le 19/03/2018
Il existe des rencontres qui changent le cours d'un voyage. De belles personnes qui, par leur manière d'être, de partager, de se comporter, de s'ouvrir à toi, de penser, t'entourent et te font sentir comme à la maison. Mony, Chan Lom et Leakhena, on ne vous oubliera pas.

Suivant les recommandations d'une amie de la maman de Théo, nous avons décidé, pour visiter Battambang et ses alentours, de loger chez Mony, qui tient un homestay à quelques kilomètres de la ville. Elle nous avait prévenus : "s'il y a un endroit où je vous conseille vivement d'aller au Cambodge, c'est bien chez cette famille khmer ".
C'était chose faite, nous avions réservé 2 nuits et y sommes restés en définitive 4, plus que ravis de notre séjour en famille, que l'on aurait bien prolongé davantage !

25/02 ~
Arrivés en fin de journée au numéro 168 de la rue Tea Chamrath, nous avons été accueillis à bras ouverts par Mony, la gérante de la maison d'hôtes, sa soeur Leakhena et leur mère Chan Lon. Toutes désolées du bruit assourdissant provenant de la "fête" en face de la maison, et qui semble t il, allait durer, elles nous ont laissé nous installer dans notre belle chambre en bois, nous offrant une jare de limonade maison, de l'ananas fraîchement coupé et des longanes décortiqués du jardin. Premier coup de foudre culinaire d'une longue série chez les Ket ! Ce petit fruit rond pousse en grappe sur un grand arbre. Protégé par une coque qui se retire facilement, son goût ressemble à celui du litchi, mais avec plus de chair et un joli noyau.
A peine sorti un pied de la chambre, nous sommes invités à dîner. Le repas est prêt, on nous attendait. Nous faisons la connaissance de Yi, le mari de Mony qui ne parle que khmer, échangeons avec Chan Lom en français et avec les soeurs en anglais. Au menu : 
- nouilles sautées aux légumes frais et au porc en entrée,
- suivies d'un "bo bo peh", une sorte de soupe de riz avec des feuilles de courges écarlates (vous ne connaissiez pas ? Nous non plus ! Ca ressemble à des feuilles d'épinard mais en moins goutu), du taro (et celui là ?! C'est une racine dont le goût ressemble à un mélange entre la patate douce et le navet), du prahoc (sorte de pâte de poisson fermenté) et des champignons. 
- en dessert : une délicieuse mangue bien sucrée et juteuse. 
Un vrai délice !
L'ambiance est décontractée, conviviale. Les discussions vont bon train : on se découvre, on rigole, on partage des anecdotes et on parle beaucoup de cuisine. A la fin du repas, on leur sert de l'elixir de chartreuse, qu'on avait justement ramené de France pour faire goûter quelque chose de chez nous aux gens sur notre passage ! Tout le monde trempe les lèvres exceptée la grand mère qui se satisfait de l'odeur, et tous apprécient.
Le feeling passe très très bien. 
A peine sortis de table, Mony nous propose d'aller avec elle à la "fête" des voisins. On lui emboîte volontiers le pas pour assister à nos premières ... funérailles !!! On apprend que suivant la tradition bouddhiste, la famille et les amis du défunt ainsi que les voisins se rassemblent nuit et jour pendant 4 jours (ou seulement 2 si la famille n'a pas les moyens), se recueillent autour du cercueil, prient, méditent et mange tous ensemble avant d'emmener le corps à la pagode pour la crémation. Difficile de se sentir à notre place dans ces conditions : nous imaginons le chagrin des proches et avons du mal à penser qu'un tel événement puisse ne pas être terriblement triste. Pourtant, les sourires se lisent sur toutes les lèvres et nous sommes accueillis très chaleureusement : on nous offre à boire et à manger et une place à la table de la famille. On nous propose également de prier pour le défunt et d'allumer de l'encens en sa mémoire. 
Les décibels ne faiblissent pas malgré l'heure avancée et nous prenons congé pour tenter la nuit réparatrice.


26/02 ~ 
Réveil 5h. Les hauts parleurs des funérailles crachent à plein volume, de quoi réveiller un mort ! On ne s'entend pas parler dans la chambre. Des musiques dissonantes aux gongs stridents se succèdent, entrecoupées de prières plus ou moins supportables. Les enceintes sont à littéralement à 10m de notre maisonnette en bois, et on le rapelle, réglées de façon à avertir le quartier entier de la mort du vieux. Autant dire que même avec nos meilleures boules Quies, il est impossible de dormir. On essaye vraiment, mais croyez nous, ça nous a vraiment rendus fous ! Et dire que ce n'est que le premier jour des festivités...
Petit dej royal (voir photo du festin) : à l'occidental avec pain/beurre/confiture/oeufs/thé/café ; mais aussi porridge local comme la soupe de la veille, avec en plus des herbes aromatiques et une sorte de pain frit ; et des desserts khmers (riz collant au lait de coco avec de la banane, poudre de haricots rouge sucrée enrobée d'une pate de riz, et un gâteau aux haricots rouges avec farine, sucre et lait de coco). On découvre avec plaisir ces saveurs sucrées qui nous avaient manquées en Thaïlande (surtout à moi, Margot).
Rassasiés, on enchaîne avec un cours de cuisine donné par Leakhena, la benjamine et passionnée de cuisine. Le choix des plats à confectionner est multiple, on opte pour le Amok fish, un poison cuit dans du lait de coco et servi dans des feuilles de bananier, qu'on avait goûté à Siem Reap et qu'on a adoré. Pour l'entrée, une salade de fleurs de bananiers (?!) pour la découverte !
En route donc vers le marché en quête des ingrédients nécessaires aux différentes préparations. Sur le chemin, Leakhena nous montre tous les arbres fruitiers, les herbes aromatiques et médicinales que l'on croise. Le marché, elle le connaît très bien. Elle s'y rend tous les matins pour s'approvisionner et pouvoir cuisiner pour la journée. Elle y a ses habitudes. Elle s'arrête toujours aux mêmes stands, un pour le poisson, un autre pour la viande, un pour les herbes, les fruits, les légumes, et termine par l'épicerie. Elle sait reconnaître la fraîcheur et la qualité des produits, n'achète que des fruits et légumes non traités, qu'elle identifie par leur taille, leur aspect, leur couleur. Dans ses assiettes, c'est que du local, du bio, du bon ! En consommant ainsi, ne s'entassent dans leur poubelle que des déchets organiques, précieusement récupérés pour nourrir le sol. Pas de cartons, plastiques, papiers superflus, 0 emballage, c'est une vraie révolution pour nous ! Elles recueillent également l'eau de pluie dans de gros réservoirs qui servent à arroser les manguier, jacquier, papayer, longanier, bergamotier et autres arbustes et fleurs du jardin. Leurs déplacements se font généralement à pied, et la vaisselle à la main, en utilisant très peu d'eau. Dans un pays peu sensibilisé au développement durable (c'est le moins que l'on puisse dire), leur mode de vie est remarquable. 
Bref, revenons en au déroulé de la journée. Nous voyant intrigués par certains fruits et légumes qui nous sont inconnus, Leakhena les achète pour nous les faire gouter. On découvre la pomme de lait et le fruit du palmier. On a adoré ce moment.
En rentrant on se met rapidement aux fourneaux pour que le repas soit prêt à midi, parce qu'à 13h, Leakhana part travailler. Elle est institutrice comme sa mère, et enseigne tous les après midi du lundi au samedi. On joue aux commis de cuisine. On suit scrupuleusement les directives des deux cheffes, Chan Lom et Leakhena, qui mettent avec gaité la main à la pâte. On lave, cisaille, tranche, coupe, plie, moud et écrase dans la bonne humeur, en tâchant de se rappeler des étapes de préparation pour pouvoir les reproduire en rentrant (promis, vous serez invités!). 
12h pétantes, à table ! C'est pas peu fiers que l'on présente nos réalisation à Mony et Yi, qui nous ont rejoins pour le repas. Une vraie réussite ! La salade est d'une fraîcheur, les gouts s'allient parfaitement, les crevettes ajoutent du croquant et le citron vert relève la fleur de bananier. Le amok est simplement divin. 
L'après midi, on se lance à la découverte de Battambang à bicyclette. Cette ville "au charme unique, qui mêle harmonieusement l'aspect d'une cité moderne à la douceur de vivre d'une bourgade et une architecture coloniale aux raffinement suranné" selon le Lonely Planet promettait de belles visites. Enthousiastes à l'idée de s'y promener, nous avons été très déçus par la ville. Nous l'avons trouvée triste, peu animée et pauvre en belles bâtisses. Pour tenter de clore la journée aussi bien qu'elle avait commencé, nous trouvons un bar d'artiste sympa qui sert des petits plateaux de fromages, et un maxi pastis pour Théo. Que demande le peuple ?! 


27/02 ~ 
petite nuit (funérailles encore). Jour supposé du départ...
on nous accorde volontiers deux nuits supplémentaires !
Gigantesque petit dej avec de nouveaux gâteaux à la farine de manioc et au tapioca, et fruits inconnus (sapotille et goyave verte). On passe la matinée à papoter à table ou dans le hamac avec Chan Lom, qui nous raconte avec émotion ses souvenirs de l'occupation des khmers rouges. Elle évoque les conditions très difficiles dans lesquelles ils ont du vivre pendant plusieurs années. Privés de leur terre et de leur maison, réquisitionnés de force par le régime, ils ont été contraints de vivre entassés dans une maison avec plusieurs familles et forcés à travailler aux champs pour les rouges. Durant cette période, ils ont beaucoup souffert de la faim, l'hygiène était précaire. Certains de ses frères et soeurs se sont exilés aux Etats-Unis ou en France, mais Chan Lom et son mari n'ont pas pu : avec 4 enfants en bas âge, le périple s'avérait impossible. Mony, l'aînée de la fratrie, a d'ailleurs écrit une nouvelle retraçant un épisode de sa jeunesse pendant la période khmer rouge, qu'elle nous a fait lire. Un témoignage poignant qui a été publié par plusieurs maisons d'édition. 
L'histoire de cette famille est malheureusement bien ordinaire au Cambodge. En 3 ans, 8 mois et 20 jours (durée de la dictature khmer rouge), le pays a perdu 25% de sa population. 3 millions de personnes décimées, sommairement exécutées, mortes de faim, d'épuisement ou de maladie. On parle de génocide. 
L'estomac encore rempli, nous sommes invités à déjeuner ainsi que Richard Streling, locataire de l'autre petite maison en bois du jardin. Cet américain retraité y vit depuis 6 mois, il donne ponctuellement des conférences en journalisme à l'université de Battambang et écrit ses mémoires. Journaliste "lifestyle", il a passé sa vie à parcourir le monde et a participé à la rédaction de nombreux guides de voyage comme le lonely planet et autres. Ce "good news journalist" comme il se définit s'est intéressé à l'histoire, la culture, le sport, la gastronomie et à la mode des pays qu'il a sillonnés, c'est dire la chance que l'on a eu de rencontrer une mine d'informations pareille ! 
Après une sieste digestive en hamac, nous enfourchons les vélos pour visiter une traditionnelle et ancienne maison khmer, en dehors de la ville. Belle bâtisse en bois construite au début du 20è siècle, cette maison a été un des fiefs des dirigeants khmers rouges, nous raconte le petit fils de son propriétaire de l'époque, qui a été contraint de l'abandonner sous peine d'être massacré. S'éloignant encore de la ville, on découvre de belles maisons sur pilotis avec jardins verdoyants. La campagne de Battambang semble plus agréable que son centre ville, mais nous ne l'avons pas beaucoup parcourue, notre curiosité s'étant davantage portée sur nos hôtes, chez qui nous avons passé le plus clair de notre temps. 
Malgré notre arrivée tardive "à la maison", Mony nous attend pour une invitation surprise à la confection de rouleaux de printemps immédiatement dégustés. Adorable... 


28/02 ~

 petite nuit (encore) et gros petit dej (toujours). Pensant avoir fait le tour de Battambang et ses environs, on décide de passer la journée "à la maison", à profiter de la fraicheur du jardin et des hamacs pour se reposer. J'accompagne Leakhena au petit marché pour reprendre quelques photos de cet endroit unique, et Théo commence à préparer le repas avec Mony. Un ingrédient manquant à la recette de la salade prévue pour le déjeuner, nous nous rendons en moto dans le plus grand marché de la ville, où Leakhena déniche le précieux sésame : un champignon chinois séché qu'elle tenait tant à nous faire goûter. Ravie, je poursuis mon reportage photo. Après avoir cuisiné tous les 5, on se laisse inviter et partageons un énième repas ensemble. C'est fabuleux de se sentir si vite chez soi, tout en étant à l'autre bout du monde ! Après midi lecture pour moi, muscu pour Théo qui a trouvé un spot en plein air, avec quelques machines.

Après avoir épluché les pages de Triadvisor en quête d'un endroit sympa où dîner, on se retrouve à manger à la même table, celle des Ket, le number one des restos de Battambang ! En plus ce soir, une autre invitée se joint à nous. Nous rencontrons Anne Laure Poree, une expat tombée amoureuse du Cambodge il y a 13 ans et qui depuis vit à Phnom Penh. C'est une amie de la famille, qui a travaillé en tant que journaliste mais qui est maintenant guide pour touristes francophones. Elle connaît très bien ce pays, son histoire et son peuple, qu'elle affectionne beaucoup. Nos échanges sur la situation économique, sociale et politique actuelle au Cambodge ont donc été réciproquement passionnés et très enrichissants. Elle a notamment évoqué le ras le bol des jeunes générations (et d'une partie des plus âgés, dont les Ket à l'unanimité) face au parti populaire cambodgien, en place depuis 1985. Adeptes de la corruption et défenseurs de leurs propres intérêts, ses dirigeants ne sont que très peu renouvelés. Si certains dérogent à la règle, notamment le ministre de l'éducation qui parait-il fait du très bon travail, beaucoup ne poursuivent pas l'idéal démocratique et participent à accroitre les inégalités. Lors des élections législatives de 2013, l'opposition réussit a s'unifier, nous raconte t elle, prônant davantage de justice sociale, la séparation des pouvoirs, une véritablement redistribution des richesses et le respect du pluralisme politique. Face à l'engouement qu'elle provoque lors de la campagne, les espoirs de changement ne cessent grandir. Elle remporte 55 sièges à l'Assemblée nationale, devancée d'une courte tete par le parti populaire cambodgien, qui conserve la majorité absolue. S'en suivent des manifestations dénonçant un scrutin entaché d'irrégularités. L'armée se range aux côtés du gouvernement et fait respecter leur interdiction, elles sont réprimées dans le sang. Depuis, le gouvernement poursuit sa politique d'intimidation vis à vis des opposants, qui sont arbitrairement inculpés ou forcés à l'exil. L'opposition est muselée en vue des prochaines élections législatives de juin 2018. Difficile donc d'imaginer autre issue qu'une énième victoire du parti du peuple cambodgien, dont les représentant locaux sont pratiquement les seuls à faire campagne...


29/02 ~ 

jour du départ, après une nuit SANS FUNERAILLES ! C'était inespéré. Nos hôtes, occupées par la préparations des chambres pour l'arrivée de nouveaux invités, nous laissent le champ libre pour nous emparer de leur cuisine. A notre tour de leur concocter un petit quelque chose ! On décide de tenter le banofee pie, un dessert à base de bananes (très bonnes ici), de lait concentré (qui se vend partout) et de biscuits sablés écrasés, ceux ci moins évidents à trouver. Mais pas de crème chantilly, sans crème fraîche et sans fouet ça semblait compliqué. Le résultat est plutôt concluant étant donné les conditions et les ingrédients à disposition. On le goûte avant de partir, après un merveilleux repas d'adieu. 

Beaucoup d'émotions nous submergent quand sonne l'heure du départ. Nous avons passé d'excellents moments chez les Ket. Cette famille en or nous aura transmis son histoire et sa passion pour la nature et la gastronomie (au total, on aura à goûté à 20 fruits et 29 légumes différents, dont la plupart qu'on ne connaissait pas). C'est en partageant le quotidien des gens que l'on peut en saisir le mode de vie, la culture et les habitudes. Ici, nous aurons vécu à leur rythme. Chan Lom, Mony et Leakhena sont d'une ouverture d'esprit, d'une curiosité et d'une générosité qu'il est rare de rencontrer. Elles nous ont ouvert les portes de leur cocon et accueilli comme des membres de la famille, ne cessant de nous répéter leur fameux mot d'ordre : "make yourself at home". On ne se sera pas fait prier ! 

Accueil chaleureux
Énorme petit dej
Ananas, sapotille et gâteaux locaux
Le jardin
Jardin
Jardin
Jardin
Cuisine extérieure
Notre chambre
Cooking class
Jackfruit, pastèques, longanes et pomme de lait
Au marché
Bananaaaasssss
Marché
-
Marché
Marché
Marché
Marché
Marché
Pétanque
Cuisine
Bar sympa mais pas sympa
Romance
Cooking class
Nos chefs d'oeuvre
Dégustation des plats
Jouet cambodgien
Fleur de bananier
Maé Chanlom, grand mère cambodgienne
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Fleur de bananier
-
Pliage des feuilles de bananier pour le amok
Amok
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,
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Porridge des voisins
Petit dej en famille
"Petit" déjeuner
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Prahoc : bouilli de poisson séché
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Poissons séchés
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Différentes sortes d'aubergines
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Assiette de fromages, inespéré !
Atelier rouleaux de printemps avec Mony
Petit dej
Banoffee surprise !
Petit repas avant le départ
2 commentaires

Mona

monageorges

Super émouvant ce récit....vous avez éveillé mes papilles !!

  • il y a 6 ans

gege

de gege buona comer

  • il y a 6 ans
1 Voyage | 90 Étapes
Battambang, Cambodge
34e jour (25/02/2018)
Étape du voyage
Début du voyage : 23/01/2018
Liste des étapes

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