Vivre et travailler à Fort McMurray

Publiée le 14/02/2018
Après quatre mois de labeur passés à Fort McMurray, il est déjà l'heure de faire un bilan, avant de partir vers de nouveaux horizons.

En arrivant à Fort McMurray, en octobre dernier, je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre, ni dans quoi je m'embarquais. Je n'avais pas même un début de certitude d'y trouver un travail à la hauteur de mes espérances.

J'ai essentiellement consacré mes premiers jours à rechercher un logement et à effectuer diverses démarches administratives. Après avoir dégoté une chambre chez l'habitant en centre-ville, il m'a ensuite fallu acheter une voiture, quasi indispensable pour espérer décrocher un emploi. La voiture trouvée, il me fallait ensuite échanger mon permis de conduire français pour un permis albertain, trouver une assurance et enfin, obtenir ma plaque d'immatriculation. Tout cela a été un peu long et fastidieux, n'étant notamment pas à même de fournir de justificatif de domicile recevable, mais j'y suis arrivé. Cela m'aura tout de même pris près de deux semaines, avant que je puisse me concentrer sur mes recherches d'emploi.

Plaque d'immatriculation de beau-gosse

Échanger son permis de conduire

Ne pouvant pas réellement utiliser indéfiniment mon permis français (associé à mon permis international), il m'a fallu procéder à son échange pour un permis de conduire de ma province de résidence. En l'occurrence, l'Alberta. Cet échange est réalisé au sens littéral du terme, à savoir que j'ai dû donner mes deux documents français pour obtenir un document canadien. Pour être honnête, je ne connais pas encore exactement la démarche à suivre pour récupérer mon permis français à l'issue de mon voyage.

Mon nouveau mode de déplacement : la petite voiture grise

Le travail

Pour trouver du travail, j'ai tout d'abord opté pour une distribution « massive » de CV, dans les zones industriels. Mon objectif premier était de trouver un emploi dans le domaine de la construction, mais n'ayant pas de réelle vision sur les opportunités, je restais assez ouvert. Une chose était sûre, je voulais un travail manuel, où j'allais pouvoir faire des heures et, si possible, travailler les week-ends. C'est finalement sur l'équivalent canadien du Bon Coin que je décroche trois tests, dont deux pour des postes d'ouvrier (ou « helper  », littéralement « assistant ») dans des équipes de framers. Le travail du bois est une idée que j'avais en tête en arrivant au Canada, c'était donc l'opportunité rêvée !

Framer vs Charpentier

Un framer désigne une personne à même d'ériger des maisons individuelles ou bâtiments commerciaux dont l'ossature est essentiellement composée de bois. Cela part de la construction des murs (sur des fondations en béton) jusqu'à l'érection de la charpente. Un framer n'effectue pas de travail de finition.

Le charpentier quant à lui peut s'occuper de domaines bien plus variés, liés au bois, mais pas que. Certains charpentiers savent par exemple construire des charpentent métalliques, peuvent contribuer à la construction de ponts en bois, etc.

Il faut savoir enfin qu'au Canada, le bois est abondant et relativement peu onéreux. La grande majorité des maisons individuelles sont donc construites avec ce matériau. Je n’ai pas souvenir d’avoir vu un seul parpaing depuis mon arrivée au Canada.

Maisons en construction

Après deux journées passées à travailler pour deux sociétés différentes, mon choix s'est assez rapidement orienté vers l'une d'elles. Déjà parce que le patron est québécois, ce qui me facilitait grandement la communication au moment de découvrir un domaine professionnel totalement nouveau pour moi, mais également parce que le projet était bien plus ambitieux et donc potentiellement bien plus intéressant. Il s'agissait de reconstruire le club-house du principal golf de la ville, parti en fumée lors du gigantesque incendie de 2016. Fort McMurray a beau être une ville pommée, rythmée par l'extraction du pétrole, elle compte tout de même trois terrains de golf !

Pas de doute, on est bien dans un terrain de golf !

J'ai donc passé près de quatre mois sur ce chantier, à couper du bois, pointer, ranger, faire, défaire. Malgré mon manque d'expérience, le froid (j'y reviendrai plus loin), des journées longues et parfois éprouvantes, j'ai vraiment adoré l'expérience et pense y avoir trouvé ce que je recherchais ; j'aurais difficilement pu rêver mieux en arrivant à Fort McMurray. Jamais, en France, je n'aurais eu l'opportunité de trouver aussi facilement et rapidement un poste similaire, encore moins dans ces conditions climatiques, parfois extrêmes. Voici quelques photos de l'évolution du projet :

À mon arrivée, les murs du niveau principal étaient déjà érigés
Au second plan, des arbres calcinés, encore debout
La charpente est construite par section au sol, avant d'être installée
Érection du premier niveau de la charpente
Érection du second niveau de la charpente
Érection des derniers murs
Installation des éléments en bois lamellé-collé
Installation des éléments en bois lamellé-collé
Finalisation de la charpente
Vue de l'arrière du bâtiment, après finalisation du toit

Le froid

L'une des raisons qui m'ont poussé vers Fort McMurray est l'assurance d'y trouver un hiver difficile. Cela peut paraître étonnant, mais j'avais envie de vivre cette expérience de travail, dehors, par températures parfois proches de l'extrême. Je conçois mon PVT comme une opportunité formidable de vivre des expériences auxquelles je n'aurais jamais eu accès en France. Celle-ci devait donc en faire partie.

Dès fin octobre, les premières neiges sont arrivées, le froid avec. Bien que le mercure soit remonté à deux-trois reprises au-dessus de zéro (+3 °C au maximum, pas d'affolement !), les températures ont plutôt oscillé entre -15 °C et… -40 °C. En prenant en compte le ressenti, on est descendu à quelques reprises en deçà, pour atteindre les -50 °C le lendemain de Noël par exemple (selon les syndicats). Au moment d'écrire ces lignes, je profite d'ailleurs d'un repos forcé, après avoir été contraint de rentrer chez moi à peine arrivée sur mon lieu de travail, -45 °C ressenti obligeant…

Même d'ici, il m'est facile de voir vos visages horrifiés à l'idée de défier de telles températures. Alors, oui, -40 °C (même moins d'ailleurs), ça pique ! Mais il y a plusieurs paramètres à prendre en compte : l'humidité de l'air n'est absolument pas la même qu'en France (elle est même moins importante qu'à Montréal par exemple) et le vent est quasi inexistant. Pour travailler, je m'habille « quasi normalement » : t-shirt à manches-longues, sweat à capuche, veste d'hiver, caleçon long, pantalon avec doublure, deux paires de chaussettes et un cache-nez. Ce sont les extrémités qui souffrent le plus ! Alors qu'au début, je me contentais de chaussures de sécurité classiques, j'ai rapidement dû investir dans bottes conçues pour isoler du froid. Au final, il n'y a guère qu'aux mains que je suis régulièrement saisi par le froid, et ce malgré deux paires de gants (impossible de porter des moufles si l'on veut travailler efficacement). Dernier détail, et non des moindres : en dessous de -40, j'ai parfois pu ressentir quelques difficultés à respirer. L'effort du travail n'aidant certainement pas.

À gauche, des bottes prévues pour supporter des températures allant jusque -100 °C !

Le dernier élément indispensable qui aide à garder le corps à température : le café ! Je pense pouvoir affirmer sans me tromper qu'à peu près tout le monde est accro au café par ici…

Un cubi de café Tim Hortons, la base !

Étonnamment, il n'y a guère que lorsque je sors de ma tanière pour aller faire quelques courses, les rares jours de repos, que je suis réellement saisi par le froid. Probablement parce que je m'habille avec moins de précautions (un t-shirt, une polaire, un jeans, un manteau d'hiver et zougue !). Il m'est même arrivé de ne pas pouvoir toucher le volant de ma voiture en conduisant, tellement il était froid ! Je n’aurais peut-être pas du oublier mes gants ce jour-là… Donc oui, à -20 °C, il fait froid, mais c'est largement supportable, loin de toute comparaison possible avec de telles températures ressenties en France.

Finalement, la principale difficulté lorsque l'on travaille par grand froid est le surplus de travail que cela occasionne, que ce soit de part la lenteur de certains mouvement, pour déneiger, dégivrer ou parce que les outils à air comprimé que l'on utilise gèlent en permanence, que les rallonges et cordons électrique sont tellement durs qu'ils se brisent, etc. Et parce qu'il n'est pas rare de se casser la gueule aussi, il faut se le dire !

Pistolets à clous pneumatiques en face d'une source d'air chaud, pour dégeler

La vie à Fort McMurray

Et la ville dans tout ça ?! Honnêtement, il n'y a rien de bien palpitant à faire ici. La ville est assez austère, sans charme. Elle a en grande partie été ravagée par un incendie historique il y a seulement quelques mois me direz-vous. Certes. Il est d'ailleurs impressionnant de constater tous ces arbres calcinés, toutes ces maisons en construction, par dizaines, des quartiers entiers en chantier permanent. Mais le centre-ville a été épargné de ce désastre.

Le centre-ville de Fort McMurray est situé dans une petite vallée

Fort Mac est sans aucun doute une ville où l'on vient pour travailler, pour gagner de l'argent. Fort Mac n'est pas réellement une ville où l'on vient pour y faire sa vie. Fort Mac est une ville de travailleurs. Il est d'ailleurs assez amusant de constater le nombre de personnes en tenue de sécurité (travaillant à la reconstruction de la ville notamment) que l'on croise dans les rues, les supermarchés, les pharmacies, etc.

Le centre-ville de Fort McMurray

J'ai néanmoins rencontré des gens qui y vivent depuis 5, 10, 15 ans ! Fait difficilement concevable pour moi, beaucoup semblent également attachés à Fort McMurray. Cela se traduit par exemple par des inscriptions « Fort Mac Strong », « Alberta Strong », en référence à l'incendie, qui fleurissent sur les véhicules et quelques bâtiments de la ville.

« Bon retour parmi nous ! »
Fort Mac Strong
Combo Fort Mac Strong / Alberta Strong

Écouter les radios locales nous rappelle également la raison de l'existence même de cette ville : les sables bitumineux. En effet, les flashs infos commencent régulièrement par la situation des puis de forage, situés plus au nord, par les cours du baril, etc. À noter que la ville a connu un boom sans précédent il y a quelques années, lorsque le prix du baril de pétrole était à son paroxysme. La main d'œuvre était insuffisante, les salaires y étaient démesurés. Les chaines de fast-food comme McDonald allant même jusqu'à offrir à ses salariés le taxi pour les trajets domicile-travail. Cela a eu pour effet une affluence de nombreux immigrés philippins, indiens et africains notamment. Malgré une situation bien plus calme aujourd’hui, la forte présence de ces communautés est encore bien visible.

J'ai également découvert ici pas mal de choses sur le mode de vie dans ce genre de régions. Déjà, les types de véhicules que l'on y croise en dit long : un tiers de pickups, un tiers de 4x4 et SUV, et un derniers tiers (ou moins) de véhicules plus classiques ou modestes. Ensuite, à partir de -15 / -20 °C, il est nécessaire de raccorder sa voiture à une prise de courant si l'on veut espérer qu'elle démarre le matin. Au début, je ne comprenais pas pourquoi je voyais passer des voitures avec des prises apparentes. J'ai rapidement fait la connexion lorsque j'ai acheté la mienne !

Des pickups… et ma voiture
Ta voiture tu brancheras

Beaucoup utilisent également des démarreurs à distance. Ils peuvent, via leur clé ou leur téléphone, démarrer leur véhicule 15/20 minutes avant de l'utiliser, pour le faire pré-chauffer, dégivrer les vitres, etc. Lorsque tu vois une voiture qui semble démarrer d'elle-même dans la rue, au début, ça laisse perplexe ! Aussi, beaucoup de propriétaires n'éteignent même pas leur véhicule après l'avoir stationné le temps d'une course. Pour le côté écologique, on repassera.

Enfin, bien que très éloignés de leurs cousins américains sur de nombreux points, les Canadiens restent des amateurs de véhicules bien gros et bien sportifs. L'hiver est par exemple la période idéal pour faire de la motoneige. Pour la transporter, nul besoin de remorque, la benne du pickup (appelé « camion » en Amérique-du-Nord) fait parfaitement l'affaire !

Canadian style!
Avec le quad, c'est encore mieux !
Sur le toit de ma voiture, ça devrait passer aussi, non ?

Conclusion

Après quatre mois de vie à Fort McMurray, je pense qu'il n'y a pas un seul jour où je me suis dit « Vivement la suite, vivement que je reprenne mon voyage ! ». Le temps me paraît tellement long, ce moment me paraît tellement loin, mais tout ceci reste un choix délibéré de ma part et je sais que dans quelques mois je serai satisfait d'avoir vécu cette expérience et que j'apprécierai encore d'avantage dépenser chaque dollar durement gagné.

Certains matins sont tout de suite plus facile que d'autres

Malgré tout, je me suis surpris plusieurs fois à penser « Putain, c'est quand même un kiff d'être ici ! C'est dur, il n'y a rien à faire d'autre que bosser par des températures impossibles et dormir, mais quelle expérience ! ». La vie n'est qu'une question de choix, bons ou mauvais. D'où résultent des expériences, bonnes ou mauvaises. Mais toute expérience est constructive et enrichissante. Prenez ce choix que j'ai fait un matin en allant au travail : essayer un petit dérapage (in)contrôlé sur route verglacée. Bon, bah ça… c'était un mauvais choix par exemple. Mais une bonne expérience.

Ceci résulte d'un mauvais choix

Après ces quatre mois à Fort McMurray, l'heure est arrivée de partir vers une nouvelle expérience de travail, encore plus au nord, encore plus près du froid extrême et, je l'espère, encore plus près des aurores boréales !

« Être ce que nous sommes et devenir ce que nous sommes capables de devenir, tel est le seul but de la vie. »

– Robert Louis Stevenson

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1 Voyage | 108 Étapes
Fort McMurray, AB, Canada
397e jour (18/02/2018)
Étape du voyage
Début du voyage : 18/01/2017
Liste des étapes

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