Detroit, Michigan, États-Unis

Publiée le 30/12/2017
Un peu plus de trois mois après les avoir quittés, retour aux États-Unis, pour une étape à Détroit, alias Motor City.

En retard dans la rédaction de mes étapes, il me tardait vraiment de vous faire partager celle-ci. Métropole mondialement connue, Detroit a un passé sulfureux. À tort ? À raison ? J'ai envie de vous faire partager mes impressions sur cette ville, en essayant de vous démontrer pourquoi elle est fascinante. Mais avant cela, petit retour sur son trouble passé.

Détroit, plus dure sera la chute

La ville de Détroit, dans le Michigan, s'est essentiellement développée au début du XXe siècle, à l'avènement de l'industrie automobile. De par sa position stratégique au cœur des voies navigables des Grands Lacs, tous les principaux constructeurs américains de l'époque, à commencer par Henry Ford, y ont implanté leurs usines. Cela lui vaudra son surnom de « The Motor City ». De 1900 à 1930, la population de la ville passe de 265 000 à plus de 1,5 million d'habitants, faisant de Détroit la quatrième ville du pays, derrière New YorkChicago et Philadelphie. La population continuera à croître jusqu'en 1950, pour atteindre 1,8 millions d'habitants.

C'est alors que s'amorce le déclin d'une ville en plein essor. À l'image de l'usine automobile Packard, qui a embauché jusqu'à 40'000 personnes, des établissements commencent à fermer dès le début des années 50. Une population noire, pauvre, fuyant le sud, s'installe massivement à Detroit. La population blanche (et les investisseurs qui vont avec) commence quant à elle à massivement quitter la ville.

Ford Motor Company

Sur fond de tensions raciales qui gangrènent la ville, éclatent en juillet 1967 de violentes émeutes. Entre pillages, incendies volontaires et tirs d'armes à feu, la police est totalement débordée. Le Président de l'époque déclare la ville en insurrection et décide d'y envoyer deux divisions de l'Armée de terre. Ce n'est qu'à l'issue de cinq jours d'affrontements que le calme revient. Bilan : 43 décès (majoritairement dans la population afro-américaine), plus de 1 000 blessés (dont des centaines de policiers, pompiers et militaires) et près de 3 000 bâtiments incendiés et/ou pillés. Ce passage de l'histoire a d'ailleurs fait l'objet d'un film, sorti il y a quelques semaines : Detroit.

Depuis, la démographie de la ville n'a eu de cesse de décroître, pour atteindre environ 670'000 habitants aujourd'hui. Population représentée à plus de 80 % par la communauté afro-américaine. Avec un taux d'homicides de 43,4 pour 100 000 habitants en 2014, Detroit est classé par le magazine Forbes dans le top 3 des villes les plus dangereuses des USA.

En guise de conclusion de cette descente aux enfers, la municipalité se déclare en faillite en juillet 2013, alors que sa dette atteint 18,5 milliards de dollars.

Sur la route de Détroit

Avant de voir ce qu'il en est aujourd'hui, petit retour sur mon trajet depuis Toronto. Alors que seulement 370 kilomètres séparent les deux villes, il ne m'a pas été possible d'effectuer ce voyage en une seule journée. Comme évoqué en conclusion de l'étape précédente, faire de l'auto-stop en Ontario, ce n'est pas vraiment la joie. J'ai vécu une première journée de pouce vraiment galère, durant laquelle je suis resté bloqué plus de trois heures au même endroit (record de mon périple aux USA battu…) pour finalement me résigner à planter ma tente à mi-chemin, à la nuit tombée.

Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir donné de ma personne ! J'ai usé de nombreux stratagèmes pour essayer de sensibiliser les automobilistes, sans grand succès. Jugez par vous-même :

Souriez !
J'ai besoin d'eau !
J'ai même essayé le bouquet de fleurs !

J'ai également essayé de m'en remettre au karma, après avoir « sauvé » une tortue qui traversait la route en dehors des clous. Sans plus de résultats… :(

Que fais-tu ici petite tortue ?!

C'est finalement le lendemain, en fin de matinée, que j'atteins Windsor, ville canadienne située sur la rive opposée à Détroit. Pour traverser la rivière Détroit, deux options :

Mon idée initiale était de tenter de l'auto-stop via le pont. Néanmoins cela me semblait vraiment compliqué et augmentait significativement mes chances de me voir gentiment refoulé au poste frontière US. Qui plus est, j’étais déjà bien en retard sur mon programme. J'ai donc opté pour la sagesse en prenant un bus qui effectue en permanence la navette entre les deux pays, pour seulement 5 CAD (un peu plus de 3 EUR).

Le Pont Ambassadeur

Pont Ambassadeur

Le pont Ambassadeur est le passage international le plus emprunté en Amérique du Nord en termes de volume d'échange : plus de 25 % de tout le commerce entre les États-Unis et le Canada l'emprunte. Le pont a quatre voies et il voit passer plus de 10 000 véhicules chaque jour, notamment les camions pour le transport des pièces d'automobile.

Le pont est un pont privé [sic].

Source : Wikipédia

Le centre-ville de Detroit, vu depuis celui de Windsor
Windsor, vu depuis Detroit

Detroit, ville en ruines

En arrivant à Détroit depuis le tunnel, la première impression est vraiment bonne, celle d'un centre-ville d'une grande ville américaine, comme tant d'autres. Néanmoins, il ne faut guère longtemps pour être confronté à la réalité et se rendre compte que Détroit n'est pas une ville comme les autres, qu'elle est a souffert dans son passé le plus récent. En levant les yeux, on s'aperçoit que nombre d'immeubles sont tout bonnement à l'abandon. En s'écartant de l'artère principale, on tombe sur les premiers bâtiments en ruines, les premiers terrains vagues, où trônaient jadis des maisons d'habitation. Le nombre de parkings proposés m'a également interpellé. Construits suite à la destruction d'immeubles, ils permettent aujourd'hui à des promoteurs de gagner de l'argent à moindre frais, en attendant des projets plus ambitieux. En constatant cela, je me suis d'ailleurs amusé à affubler la ville d'un nouveau surnom : Parking City.

Bâtiment abandonné dans le centre-ville de Détroit
Immeuble abandonné - Détroit
Emplacement d'une maison détruite
Bâtiments abandonnés - Détroit
La tour de droite est abandonnée
Temple maçonnique de Détroit
Temple maçonnique de Détroit

Mais deux emplacements m'ont particulièrement marqué. Tout d'abord, l'usine automobile Packard, évoquée plus haut, symbole du déclin de Détroit. Située légèrement à l'écart du centre-ville, je m'y suis aventuré, en voiture. Juste le temps de constater l'immensité des lieux, de prendre quelques photos, avant de me faire apostropher par la sécurité, qui veille au grain pour éloigner les badauds (pour des raisons de sécurité, notamment).

L'usine automobile Packard, désaffectée depuis 1958
La police surveille également le site

Mais l'endroit qui m'a particulièrement subjugué, marqué, c'est le Michigan Building et son ancien théâtre. Fermé depuis 1976, reconverti en parking, l'endroit pouvait accueillir jusqu'à 4 500 spectateurs. Il ne reste aujourd'hui plus que quelques ornements en piteux état et des lambeaux du rideau de scène. Les plus cinéphiles se souviendront du lieu, aperçu dans 8 Mile.

Michigan Theatre - Détroit
Michigan Theatre - Détroit
Michigan Theatre - Détroit

Un peu à l'écart du centre-ville, où je me suis laissé guider par mon hôte, on constate en outre de très nombreux quartiers où ne subsistent que de rares habitations. La grande majorité des lots étant désormais vide de toute bâtisse, laissant place à la végétation. Difficile néanmoins de prendre des photos de ce genre d'endroits, au risque de tomber dans le voyeurisme.

Enfin, j'ai également été marqué par la quasi absence de véhicules dans les rues du centre-ville. Énorme contraste avec les autres villes américaines où je suis passé jusqu'à présent, souvent bondées.

Les rues désertes de Détroit, par un samedi après-midi ensoleillé

Detroit, la renaissance

Mais Détroit, ce n'est pas seulement cette carte postale morose. Détroit, c'est également une ville à l'architecture particulièrement intéressante, de par ses nombreux immeubles Art déco, construits durant l'entre-deux-guerres. Ayant eu la chance d'être hébergé par une personne féru d'architecture, j'ai pu constater à quelle point cet aspect représente l'une des richesses de la ville. Et le meilleur exemple est, à mon sens, le Guardian Building.

Penobscot Building
111 Cadillac Square
The Guardian Building
The Guardian Building
The Guardian Building
Vue depuis le Guardian Building

Détroit, c'est une ville où les investisseurs commencent à revenir, où de nombreux bâtiments (d'habitation ou de bureaux commencent à être rénovés), où des infrastructures publiques commencent à se développer : un tramway inauguré en mai, une aréna flambant neuve qui accueille depuis septembre les équipes locales de basketball et de hockey sur glace. À ce sujet, il est toujours fascinant de constater la place faite au sport aux États-Unis et l'argent que cela génère. En effet, à deux pas de cette nouvelle enceinte, on retrouve un stade de football américain, construit en 2002, avec une capacité maximale de 80'000 places et un stade de baseball, construit pour sa part en 2000, pouvant accueillir plus de 40'000 spectateurs.

À gauche, des ruines. À droite, de nouveaux immeubles.
Une chaussée flambant neuve
L'entrée du Comercia Park, antre des Tigers de Détroit

D'ailleurs, pour rendre l'endroit encore plus improbable, le Michigan Building se transforme en annexe du Ford Field les jours de match.

Le Michigan Theater un jour de match de football américain

Détroit, c'est également quelques quartiers qui renaissent, à l'image d'Eastern Market. S'y trouve un grand marché couvert, mais également un terrain de jeu rêvé pour les graffeurs du monde entier.

Eastern Market
Eastern Market
Eastern Market
Eastern Market

Bon, d'accord, tout cela est peut-être un peu léger pour essayer de mettre en évidence la renaissance de Détroit. Mais Détroit, c'est surtout une ville qui semble revivre grâce à une reprise en main par ses habitants, malgré tout fiers d'y habiter, fiers de constater que les choses évoluent depuis quelques années et fiers d'y prendre part. Durant mes deux jours de présence dans le Michigan, j'ai par exemple pu prendre part à un festival son et lumière, l'un des nombreux festivals organisés durant la période estivale. Je sais qu’il existe également de nombreuses initiatives citoyennes, notamment pour proposer une agriculture locale.

Everything is going to be alright
On a le style ou on ne l'a pas !

Conclusion

J'ai coutume de penser/dire que je ne retournerai jamais deux fois au même endroit, estimant qu'il y a tellement de choses à découvrir dans ce monde. Mais j'ai intimement envie de revoir Detroit, dans dix, quinze ou vingt ans. Exception faite de Cuba, en dehors du temps, c'est certainement la ville la plus fascinante de mon voyage jusqu'à présent.

Grand Circus Park

De plus, il est faux de penser que Détroit est une ville dangereuse. Bien que les chiffres justifient cette idée, dans les faits, le centre-ville est parfaitement sécuritaire, de jour comme de nuit. Du moins, pas plus menaçant que dans les autres agglomérations étasuniennes. Les homicides se cantonnent aux quartiers résidentiels et résultent la plupart du temps du trafic de drogue. Cela dit, je ne masque pas avoir eu quelques appréhensions lorsque j'ai parcouru, en voiture, certains de ces quartiers. Mais je pense que cela était essentiellement lié à deux choses : la réputation de la ville et l’atmosphère parfois glauque, qui résulte d'une certaine vision de désolation.

« Dites des choses gentilles sur Detroit »

Enfin, croyez-le ou non, la devise de Detroit est « Speramus Meliora ; Resurget Cineribus », ce qui signifie « Nous espérons des temps meilleurs ; elle renaîtra de ses cendres. ». Celle-ci fut inscrite sur le drapeau de la ville à la suite de l'incendie dévastateur de 1805.

Comment aller à Détroit sans un passage par la mythique 8 Mile !

« Dessiner une ville rêvée est simple, en reconstruire une déjà existante demande de l’imagination. »

– Jane Jacobs

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1 Voyage | 108 Étapes
Détroit, Michigan, États-Unis
248e jour (22/09/2017)
Étape du voyage
Début du voyage : 18/01/2017
Liste des étapes

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