En visitant le musée, j’ai discuté un moment avec une garde. Elle m’a présenté Ajaccio depuis la fenêtre du bâtiment, me décrivant les monuments visibles. Je n’ai pas osé lui dire que j’avais déjà visité chacun de ces lieux ; je l’ai simplement remerciée. Puis, sur un ton sérieux, elle m’a conseillé d’éviter le petit train touristique : selon elle, le conducteur conduisait comme un fou. J’ai d’abord cru à une plaisanterie, mais elle a ajouté que, la veille, le train avait déraillé sur un rond-point. Deux enfants avaient été grièvement blessés. Qui sait, ça aurait pu être moi dans ce petit train hier… Le hasard est fait de telles choses : un instant tout va bien, et la seconde d’après, tout bascule. Enfin, n’y pensons plus, qu'ils se rétablissent vite et sans séquelles.
Extrait du journal d'un montagnard #
Le musée Fesch trouve son origine dans la passion du cardinal Joseph Fesch (1763-1839), oncle maternel de Napoléon Ier, pour la peinture italienne, flamande et corse. Tout au long de sa vie, il rassembla une collection exceptionnelle de plus de 16 000 œuvres, l’une des plus riches d’Europe à l’époque. À sa mort, il légua une partie de ce patrimoine à sa ville natale, Ajaccio, afin d’y créer un établissement culturel. Le palais Fesch, construit au XIXᵉ siècle pour accueillir cette donation, abrita à la fois un musée, une bibliothèque et une école. Inauguré en 1852, il est aujourd'hui le plus prestigieux musée de Corse.
Mais comment Joseph Fesch a-t-il pu rassembler autant d’œuvres ? Au-delà d’être un féru d’art, c’était surtout un opportuniste habile et sans scrupule, qui sut profiter de ses bonnes relations. Il bénéficia en effet d’une période très particulière : à la fin du XVIIIᵉ siècle et au début du XIXᵉ, l’Italie connut guerres, révolutions et bouleversements politiques. Beaucoup d’aristocrates et de familles nobles ruinées furent contraintes de vendre leurs biens, notamment leurs tableaux. Le cardinal en racheta alors des milliers, souvent à bas prix, issus de collections prestigieuses. Grâce à son influence religieuse et politique, étant archevêque de Lyon, proche de Napoléon et du pape Pie VII, il pouvait obtenir en priorité, et parfois même gratuitement, des œuvres mises en circulation après confiscations ou ventes liées aux campagnes militaires d'un de ses neveux les plus prestigieux, Napoléon Bonaparte. Cela s’apparente à une forme de spoliation et de vol, car en principe les biens confisqués au profit de l’État ne devraient pas se retrouver dans un patrimoine privé sans procédure régulière d’acquisition, ce qui n’était pas toujours respecté par Joseph Fesch.
Cependant, même s’il se montra sans scrupule dans sa quête d’art, ce n’était pas pour autant un homme mauvais. Comme dit précédemment, il légua dans son testament de 1839 une grande partie de sa collection à la commune d’Ajaccio et utilisa son propre fonds pour fonder un « Grand institut des études », sans doute dans l’espoir de rendre l’art accessible au plus grand nombre. Ses actes montrent qu’il considérait très tôt que l’art devait être partagé et non réservé à un seul. Dès 1805, il se tourna vers l’art religieux et envisagea de créer une « institution des beaux-arts chrétiens ». Il voulait également fonder un musée d’art semblable au Louvre. En résumé, son projet était clair : faire connaître l’art à ceux qui avaient soif de le découvrir.
À titre anecdotique, Joseph Bonaparte, ancien roi d’Espagne exilé aux États-Unis en 1815 après la chute du Premier Empire, contesta ce legs par prudence et par intérêt, espérant récupérer la richesse de son oncle au profit de la famille. Il obtint gain de cause et récupéra une grande partie de la collection et empêcha la construction de l'institution. Finalement, il céda tout de même 1 500 œuvres au palais et octroya une somme d’argent à la commune d’Ajaccio pour la construction du Palais. C’est pourquoi on ne parle plus aujourd’hui de « legs Fesch », mais de « donation Survilliers », du nom que Joseph Bonaparte utilisait en exil. Ce geste reste discutable, car juridiquement la volonté d’un défunt est réputée supérieure et inaltérable, sauf si elle est abusive. Si les tableaux appartenaient bien à Joseph Fesch, de quel droit son neveu peut-il se permettre de bafouer son testament ?
Cependant, même si Joseph Fesch freina l'action de son oncle, il l'a continua d'une autre manière, car il fit également des dons aux différentes villes et villages de Corse. Ainsi, en dehors du palais Fesch, musée des Beaux-Arts d’Ajaccio, de nombreux retables issus de sa collection sont encore visibles dans les églises corses, notamment à Bastia, Corte, Calvi, Sartène et Vico. Cela prouve que c’est surtout grâce à son action et à sa collection que la Corse peut aujourd’hui se parer de si belles œuvres d’art, car il fut le principal vecteur de diffusion artistique sur l’île de Beauté à son époque.
Je vois trois grands mouvements d'arts digne d'intérêt dans ce musée :
- Peintures italiennes (XIVe–XVIIIe siècles) : Il s'agit du cœur du musée, l’une des plus riches collections en France après le Louvre. Trois ensembles majeurs : Primitifs & Renaissance, peinture du XVIIe siècle (toutes les écoles italiennes), artistes actifs à Rome au XVIIIe siècle. Présentation dans l’esprit des palais romains : accrochage “cadres contre cadres”.
- La Collection napoléonienne : Galerie de portraits de la famille Bonaparte (Napoléon Ier, Joseph Bonaparte, Lucien, Napoléon III…). Peintures, gravures, sculptures (Canova, Carpeaux, Bartolini…). Évoque surtout le Premier Empire, mais aussi le Second Empire.
- Et les peintures corses : Créées à partir de 1866 (achat de La Forêt de Valdoniello de Multedo). Aujourd’hui près de 1 000 œuvres, regroupant les grands noms de la peinture corse (Lucien Peri, Canniccioni, Bassoul, Corbellini…).Dans l'une des photos publiées dans ce voyage vous retrouverez notamment des lieux emblématiques de Corse que j'ai visité comme : Les gorges de la Spelunca, vue sur sant'Antonino, les bouches de Bonifacio, le fortin de Pasciola, le Cap Corse ou encore les gorges de l'Asco.
Et il y a aussi deux techniques mise en avant dans ce musée, la sculpture sur pierre et l'accrochage des tableaux façon palais Italien :
Au XVIe siècle, les peintres cherchent de nouveaux supports en dehors de la toile, alors largement répandue. Ils utilisent ainsi l’ardoise, la pierre de touche (jaspe noir), différents marbres et jaspes colorés, l’albâtre, la pietra paesina florentine, ou encore des pierres précieuses comme le lapis-lazuli ou l’améthyste. La spécificité de cette technique est d’intégrer les veines et couleurs naturelles de la pierre dans la composition, ce qui inspire notamment des scènes nocturnes, comme la naissance ou la mort du Christ, souvent peintes sur ardoise. Vérone devient un centre actif de ce type d’expérimentations, illustrées par L’Adoration des bergers de Sante Creara. Ces supports, utilisés surtout entre 1530 et 1630, restent rares mais répondent à une double recherche : des effets de matière et de lumière inédits et une plus grande durabilité, en écho à la sculpture et à l’Antiquité redécouverte. Dans un contexte religieux marqué par la Contre-Réforme, l’Église commande des œuvres inaltérables, comme les retables en ardoise peints par Zuccari, Salviati ou Venusti. En dehors du religieux, la peinture sur pierre séduit aussi les mécènes pour son caractère précieux et original, en faisant de véritables objets de collection.
La collection du cardinal Fesch fut la dernière grande collection formée par un prélat romain et reste certainement la plus vaste. Ces collections de cardinaux ont souvent servi de base aux grandes galeries princières, dont certaines subsistent encore dans les palais romains. Certaines sont devenues des musées nationaux (Galleria Barberini, Galleria Spada, Galleria Corsini, Villa Borghese), tandis que d’autres restent accessibles au public malgré leur propriété privée, comme la Galleria Doria-Pamphilj et la Galleria Colonna. À Rome, le cardinal résidait au Palais Falconieri, construit au XVIIe siècle par Borromini, où il installa la majorité de ses 16 000 tableaux. La plupart étaient entassés dans les différentes pièces, à l’exception de la « Grande Galerie » et des salles dédiées aux « maîtres anciens », ouvertes au public. Les œuvres étaient accrochées selon la mode de l’époque : murs entièrement recouverts de tableaux, sans distinction de siècle, de sujet ou de matière. L’architecture classique et monumentale du palais se prêtait parfaitement à ce type d’accrochage, dit « cadre contre cadre », qui fait aujourd’hui revivre l’atmosphère des palais romains. Le visiteur peut ainsi apprécier la profusion et le caractère universel de la collection du cardinal Fesch.
La chapelle impériale d’Ajaccio, attenante au musée Fesch, fut construite entre 1857 et 1860 sous l’impulsion de Napoléon III afin de réaliser le souhait de son grand-oncle, le cardinal Joseph Fesch, qui voulait offrir à sa famille une nécropole digne de son rang et qui avait été refusé initialement par l'un de ses descendants ayant contesté le legs, son neveu Joseph Bonaparte.
La chapelle s'inscrit dans un plan rectangulaire en forme croix latine miniature, elle a une nef unique, un transept qui n'est que très peu marqué, peu profond, deux baies aux extrémités du transept en forme de ''triplet'', les latérales sont partielles et rejoignent la centrale qui elle est complète, en arc en plein cintre et séparés par deux trumeaux, la chapelle est en voute en berceau qui se stop au centre pour faire place à un dôme central avec oculus, un chœur légèrement surélevé en forme d'abside semi-circulaire, un chevet plat terminant l'édifice qu'il n'est possible d'approcher que par les déambulatoires aux côtés du chœur, la chapelle ne semble pas avoir d'absides accessibles et visibles à l'arrière du chœur, pas de chapelles secondaires dans la nef, excepté dans le fond de l'église en suivant les déambulatoires qui permettent de la rejoindre elle ou la crypte.
L’intérieur de la chapelle, et notamment la coupole, est entièrement orné de peintures en grisaille, on retrouve un motif en noir et blanc, au centre en forme de roue, et sur le reste de l'édifice en bande, sur le plafond et les murs figurent des motifs floraux et des trophées d’objets ''sacerdotaux'', relatifs aux prêtres, œuvre de Jérôme Maglioli, architecte et peintre d’Ajaccio. Les vitraux sont eux aussi intéressants d’un point de vue iconographique. Marqués du F de Fesch, ils présentent des compositions alliant les attributs ecclésiastiques du cardinal aux traditionnels symboles impériaux de l’Aigle et de la croix de la Légion d’honneur. Les piliers centraux supportent des plaques de marbre noir dont trois d’entre elles sont gravées d’inscriptions latines composées par Champollion-Figeac à la mémoire de Madame Mère, du Cardinal Fesch et de Charles Lucien Bonaparte, prince de Canino, fils aîné de Lucien. L’autel est surmonté d’un crucifix de style copte offert par Bonaparte à sa mère lors de son retour d’Egypte en août 1799.Des couloirs et escaliers latéraux permettent d’accéder à la crypte où reposent les membres de la famille impériale. La crypte elle-même, de forme circulaire, se situe exactement dans l’axe de la coupole. Elle renferme six sarcophages protégés de parements noirs sur lesquels sont indiqués en lettres dorées les noms des défunts.
Mes pas m’ont conduit jusqu’à une splendide place déserte, habituellement, dit-on, bondée de monde ! Située sur les hauteurs d’Ajaccio, elle abrite la statue d’un homme qui, plus qu’un simple personnage, incarne une véritable légende ayant marqué l’histoire de France, pour le meilleur comme pour le pire. Je n'aborderai que brièvement sa carrière militaire, les acquis juridiques, institutionnels et civils dont il est à l'origine sont trop nombreux à résumer dans une simple tirade.
Héros pour certains, despote pour d’autres, Napoléon ne laisse personne indifférent. Son épopée demeure l’une des plus impressionnantes sagas de bravoure aux yeux du monde entier. Et que dire de ses soldats, de fiers Français, ces grognards dont les glorieuses carcasses ont décoré toute l'Europe, seuls eux pourraient se vanter en disant : “Il n’existe pas une route sur cette terre que notre sang n’ait jamais fécondée, dans la chaleur du désert, la froideur de la toundra, en bas dans les plaines verdoyantes d'Italie et en haut sur les montagnes abruptes d'Espagne, nom de Dieu !”
J'aimerais simplement rappeler brièvement qui est Napoléon, l'empereur des rois : Né en 1769 à Ajaccio peu après l'annexion de l'île par la France, il vient d'une famille issue de la petite noblesse de Corse. Son père, voyant l'annexion comme une opportunité, décide d'envoyer son fils étudier sur le continent : il intégrera une prestigieuse école militaire de Paris en 1784 où il se spécialisera dans l'artillerie, obtenant son brevet à seulement 16 ans, devenant alors l'un des plus jeunes sous-lieutenants d'artillerie de France.
À partir de là, il s'illustrera dans des conflits révolutionnaires comme au siège de Toulon en 1793 ou en 1795 lors de la ''canonnade du 13 Vendémiaire'', où il repoussa l'insurrection royaliste de Paris en tirant à coups de canon dans une foule déchaînée en tant que commandant de l'armée révolutionnaire désigné par le Comité de Salut Public. Par la suite, le régime succédant, le Directoire, l'envoya vers les terres prospères d'Italie pour repousser les troupes royalistes, renflouer les caisses du trésor public dès lors vides, et mener une campagne victorieuse en 1796. Puis vint le tour de l'Égypte en 1798, où certains racontent que le Directoire l'aurait envoyé là-bas pour l'éloigner du pouvoir, craignant un coup d'État de sa personne. Il affronta la terrifiante flotte turque qu'il défit, réputée à travers l'Europe entière lors de la bataille d'Aboukir en 1799, et les charges des Mamelouks sur leurs chevaux aux pieds des Pyramides lors de la bataille d’Embabeh en 1798, où lui et ses soldats gravèrent leurs noms, en plus de leur avoir dit : ''Soldats, songez que, du haut de ces pyramides, quarante siècles d'histoire vous contemplent !'' Cependant, Napoléon ne pouvait conquérir toute l'Égypte, les nombreux forts turcs lui opposèrent une résistance trop farouche. La situation bloquée, il dût rentrer à la capitale pour mener d'autres fronts. Parait-il également qu'il serait rentré sur-le-champ après avoir appris la tromperie de sa femme Joséphine avec un officier de cavalerie. Par la suite, en tant qu'empereur à la suite de son coup d'État, il prit la décision de mener des campagnes et des batailles en Allemagne, en Prusse, en Autriche, en Pologne, en Russie jusqu'à Waterloo contre des coalitions où il se retrouvait très souvent en infériorité numérique totale, face à de grandes puissances alliées entre elles, contre lui seul. Ainsi, en 1815 lors de son ultime combat, il affrontera parmi les meilleurs adversaires, quatre grandes puissances venu le défaire. Napoléon n'a jamais cessé de fondre sur les troupes ennemies lui et ses hommes avec un courage indéfectible, rappelons-nous de la devise de la vieille garde : ''La vieille garde meurt, mais ne se rend pas !''
En bref, l'empereur Napoléon demeure l'un des belligérants les plus marquants de l'histoire !
Pour la petite anecdote, je n’ai pu visiter la place d’Austerlitz que le 30 août. Pourquoi, me demanderez-vous ? Tout simplement parce que, le jour de mon arrivée, le célèbre Maître Gims avait choisi cet endroit précis pour donner un concert ! Maudis sois-tu, Maître Gims ! Sur le moment, j’ai pesté contre l’absurdité d’organiser un tel événement sur une place aussi éloignée du centre-ville : trois kilomètres de marche et une centaine de mètres de dénivelé à gravir pour y accéder depuis le port… Mais en y réfléchissant, je dois avouer que c’était finalement l’endroit idéal. La place est immense, parfaite pour accueillir une foule entière sous le ciel d’Ajaccio !
Extrait du journal d'un montagnard #