Alors que je cheminais en longeant le golfe de Sant’Amanza par la plage des Tamaris, le sentier, sans être périlleux, était épuisant, surtout que j’étais pressé par le temps : je devais finir cette randonnée en une heure pour aller manger une pizza devant le coucher de soleil aux bouches de Bonifacio. Or, à cause de l’aspect négligé du sentier et de la propagation fulgurante de la végétation, je me suis égaré quelques fois de la vieille trace pratiquement inexistante !
La randonnée était plaisante : j’y ai trouvé de vieux bunkers, probablement de la Seconde Guerre mondiale, peut-être installés par l’armée italienne voire allemande lorsqu’elle avait investi le sud-ouest de l’île… ou bien une défense des Alliés quand la Corse fut reprise, qui sait ? J’ai longé de petites crêtes que j’ai trouvées superbes avant de l’apercevoir au loin : une tour génoise, parfaitement sectionnée à sa base. Il n’en demeurait plus que quelques mètres au-dessus du sol, le reste ayant tout simplement disparu. Il était même possible de se hisser à son sommet avec un petit pas d’escalade, mais des randonneurs astucieux avaient pensé à tout : ils avaient empilé des restes de pierres pour faciliter la grimpe !
Et de là, une superbe vue s’offrait à moi, à la fois sur une partie côtière et forestière de Corse absolument inhabitée, et sur le splendide archipel des Lavezzi, une prochaine destination qu’il me restait à découvrir. Je trouvais ça génial : avoir la chance, par le biais d’une randonnée, d’obtenir une vue directe sur mes futures étapes, c’était un peu comme une carte interactive. J’étais le viking à la conquête du monde et à la belle chevelure que je pensais être… Hélas non, car mes cheveux tombaient. Mon rêve d’être viking ne pourrait, dès lors, jamais se concrétiser. Voyez-vous : un viking sans cheveux, c’est comme un Parisien en vacances en province sans son air méprisant — c’est un package ! (Je taquine.)
Mis à part ça, la fin de la randonnée s’est faite en courant sur un superbe sentier de terre, très bien aménagé, droit, sans trop de bosses, accessible même à vélo à en juger les traces. Et là, si vous êtes normaux, vous me direz : « Mais pourquoi ne l’as-tu pas pris à l’aller ? » Eh bien simplement parce que je ne connaissais pas son existence !
Mais la fin est encore plus drôle : alors que je galopais comme un sanglier à travers champs — faut savoir que moi, le cardio je l’ai, mais pas l’expérience — je ne sais toujours pas courir proprement. Ma foulée est lourde et hasardeuse, ma respiration saccadée… bref, j’étais en situation de survie critique. Et devinez quoi ? Arrivé en bas, je découvre que le sentier mène tout droit à une propriété privée ! Pas de bol. Je croise le propriétaire. Le propriétaire me regarde. Je regarde le propriétaire. Le propriétaire arrête de nettoyer son barbecue. Je lui dis : « J’crois que j’me suis ptêt trompé de chemin. » Et il me répond : « Oui, sans doute ! La sortie, c’est par là. » Alors je le remercie, et la course est repartie… pour finalement arriver au parking, 50 mètres plus loin. C'était une bonne randonnée !
Extrait du journal d'un montagnard #