Me voilà sur les routes de la vallée de la Restonica. Une vallée superbe, née des hauteurs du mont Rotondo et qui descend jusqu’à Corte. Elle doit son nom à une légende : il y a plusieurs milliers d’années, durant une sécheresse terrible, elle aurait été la seule rivière de l’île à ne pas se tarir. Son eau sauva alors les habitants, leur permettant de survivre ou tant d'autres périrent durant ce terrible épisode caniculaire.
La Restonica est comme un immense entonnoir. Les montagnes gigantesques qui l’enserrent des deux côtés se dressent si hautes, si abruptes, qu’il semble impossible de les franchir. Sans doute existe-t-il un ou deux sentiers vers un plateau ou un pic voisin, mais l’appel de la vallée mène presque toujours au même but : traverser forêts, torrents et pierriers, pour atteindre l’ombre des lacs perchés, au pied du Rotondo.
Autrefois, l’ascension commençait aux bergeries de la Grotelle. Mais une crue a emporté le vieux pont. Désormais, il faut partir depuis le tout début de la vallée. Vingt kilomètres et mille-trois-cents mètres de dénivelé attendent les marcheurs qui veulent voir les deux lacs. Une épreuve pour les jambes. Pourquoi le pont n’a-t-il jamais été reconstruit ? Sans doute parce que la vallée réclamerait bien plus qu’un simple ouvrage : la route elle-même est en lambeaux, rongée par les pierres dévalant des hauteurs, des pans entiers de l'ouvrage se sont mêmes effondrés, si bien qu'elle n'est praticable par aucun véhicule.
Et pourtant, malgré cette rudesse, l’on peut poursuivre l’ascension. Une série d’échelles et de cordes permet de s’accrocher aux parois et de gagner le lac de Capitello. À 1 930 mètres d’altitude, il repose, encerclé de montagnes aux crêtes déchiquetées. On le surnomme le lac bleu. Sa profondeur abyssale, la plus grande de Corse, lui donne cette couleur de saphir presque irréelle, héritage des glaciers disparus.
Le jour où je m’y suis rendu, le vent soufflait à décorner les bœufs. Mais ce n’est pas le vent qui arrête la détermination d’un homme. Le lac était voilé de brume, comme couronné par les montagnes. Il était beau, mystérieux, majestueux même… mais les nuages m’en ont volé les reflets. Qu’importe. La météo, elle, ne se dompte pas, j'y ai vu deux hommes grimpés encore plus haut, par un chemin des plus vertical, je ne sais pas si j'aurai pu m'y aventurer...
Extrait du journal d'un montagnard #
En reprenant la route vers les aiguilles de Bavella, un territoire magnifique s’est ouvert devant moi. La vallée de la Solenzara. Je n’y ai pas pris le temps de randonner, mais le simple passage suffisait à éblouir. Partout, une végétation luxuriante composée de pins maritime. Partout, des piscines naturelles scintillant entre les rochers. Et autour, les grandes montagnes, dressées à perte de vue, offraient des panoramas grandioses sur ce décor sauvage. C’était beau. Vraiment beau.
Extrait du journal d'un montagnard #