Le fortin de Pasciola, aussi appelé tour retranchée de Vivariu, fut construit en 1771. Si les édifices défensifs de l’île de Beauté qui jalonnent ses côtes à l’image des célèbres tours génoises sont innombrables, l’intérieur du territoire, lui, en compte beaucoup moins. On y aperçoit parfois les ruines de châteaux féodaux, mais ces derniers ont très mal vieilli. À la différence du continent, châteaux et fortifications n’y sont pas monnaie courante. Jean de La Fontaine disait d’ailleurs : « la rareté du fait donne du prix à la chose ». Et je ne peux qu’être d’accord avec lui lorsque mon regard s’est posé sur cette merveille trouvaille : un petit fortin isolé, perdu au milieu des montagnes. Mais quelle est son histoire ?
En 1768, Gênes céda la Corse à la France, alors que, depuis quarante ans, la population se soulevait contre sa domination. Le comte de Vaux, commandant l’armée royale, débarqua alors avec 24 000 hommes. Après plusieurs victoires, les troupes corses menées par Pascal Paoli furent vaincues à Ponte Novu en 1769. Malgré tout, des groupes nationalistes continuaient de harceler les troupes françaises et leurs convois, causant de lourdes pertes.
Pour sécuriser les déplacements et maintenir la communication entre les différents détachements, il fut recommandé d’édifier douze à quinze avant-postes à l’intérieur de l’île. Le fortin de Pasciola fut l’un d’eux. Pourtant, il n’eut jamais le succès escompté. L’histoire, à vrai dire, relève presque de la comédie pour nos architectes Français lorsqu’on la relit aujourd’hui…
Ces silhouettes se distinguent aisément dans les paysages irréguliers qui alternent entre les courbes douces des collines et les ombres imposantes des montagnes vertigineuses formant la colonne vertébrale de la Corse. Là, près de ces géants de pierre, sur une colline herbeuse ou un éperon rocheux, ces édifices anciens, tout de pierre vêtus, montent encore la garde.
Concernant le fort de Pasciola, sa vocation était claire : contrôler le territoire de la vallée du Vecchio, couper la route aux groupes indépendantistes et rebelles insulaires, sécuriser les voies de communication pour les convois français et résister à d’éventuelles invasions ennemies. Conçu pour héberger jusqu’à 48 hommes et stocker une importante quantité de matériel militaire, il disposait d’une citerne de 90 m³ au sous-sol, de plusieurs pièces réparties sur trois niveaux, d’un pont-levis et de douves. Rien n’était laissé au hasard dans cet ambitieux projet. Érigé sur un mamelon presque entièrement cerné par le vide, il dominait la vallée et n’était accessible que par un unique pan de colline : une position presque imprenable.
Sur le papier, tout semblait parfait. Mais en 1777, son destin bascula. Les ingénieurs du corps des Ponts et Chaussées jugèrent le chemin initial d’accès au fort trop pentu et dangereux. Ils décidèrent donc de tracer une alternative plus douce. Ce nouveau tracé éloigna la route de la redoute : coup du sort, le fort se retrouvait désormais hors de portée de ses propres fusils. Avant même d’être occupé par une garnison, il perdait déjà sa raison d’être. Oublié, il sombra dans l'oubli.
En 1796, le fort mal-aimé vécut sa déchéance finale. Le royaume anglo-corse disparu, les troupes britanniques quittèrent l’île et les indépendantistes corses, privés de soutien extérieur, se replièrent, impuissants face au royaume de France. Ainsi, plus aucune patrouille Française ne passait près du vieux fort, obsolète et défectueux, le fort demeura sans défense, livré au premier envahisseur. Il fut entièrement pillé par des opportunistes : planchers, volets, menuiseries, pierres de taille, tout disparut. Ironie du sort, il ne fut jamais véritablement occupé par qui que ce soit… dommage pour ceux qui imaginaient un décor de roman d’aventures ou de jeu vidéo comme à la Skyrim ou à la The Witcher.
De 1803 à 1811, le Général Joseph Morand, nommé par Napoléon pour administrer la Corse, se voit conféré des pouvoirs de « Haute police ». Brutal et tyrannique, il utilise le fortin de Pasciola comme prison où étaient enfermés et parfois torturés les insurgés, les royalistes et les bandits corses. Une provocation locale en Corse existe au sujet de ce fortin, un corse énervé pourrait bien un jour vous dire ''Che tu sia chjusu in Pasciola !'' ce qui signifie : ''Que tu sois enfermé à Pasciola !'' Tant ce lieu marqua les esprits par les sévices qui y étaient perpétrés au cours de cette sombre époque.