Située en pleine nature au-dessus du hameau de Barrigione, la chapelle Saint Michel est un autre lieu de repos visité. Dernier maillon entre le roman primitif et le pisan, elle se dresse sur un éperon rocheux dominant toute la vallée. Cet éperon porte encore les trous faits pour les échafaudages. C’est sans doute une des rares chapelles dont la date d’édification est connue. L’abbé Agostini, curé de Sisco au 18e siècle, mentionne en effet une inscription portant la date de 1030.
Bien proportionnée, la chapelle est à nef unique terminée, à l’est, par une abside semi-circulaire voûtée en cul de four. Cette abside est construite en pierre de Sisco, un calschiste jaune orange fortement veiné et présente un décor de six pilastres peu saillants soutenant dix petits arcs soulignant la corniche, elle-même faite de deux rangées de pierres superposées. Au centre, une fenêtre meurtrière, la seule fenêtre de l’édifice, est surmontée de claveaux. Le fronton oriental est percé d’une croix ajouré, motif que l’on ne retrouve plus sur le fronton occidental. Deux portes donnent accès à l’intérieur : la première, sur la façade occidentale, est surmontée d’un arc fait de deux rangs de claveaux sans linteau ni tympan, la seconde, sur le mur nord, ne présente qu’un simple linteau. Le mode de construction est bien visible : des pierres minces et longues alternent avec des chaînages de larges dalles disposées en revêtement.
''Malheureusement, je n’ai pas pu photographier tous les angles de ce vieil édifice, car il soufflait beaucoup et l’éperon rocheux sur lequel il était bâti, par son étroitesse, me privait de ma liberté de mouvement. Mais quelle beauté ! Un petit joyau à taille humaine, bien conservé, éloigné de tout, témoin d’un art révolu, à l’aube de l’avènement des civilisations mérovingienne, carolingienne et capétienne, friandes de l’art roman.
En grimpant, j’ai même entendu, dans les fourrés, un bruit sourd venant vers moi en réaction à mon cri destiné à mon père. Ce bruit ne pouvait être l’œuvre que d’un sanglier. Alors que les pas se rapprochaient, je regardais au-dessus des végétaux, mais je ne voyais rien. Ce n’était donc ni une biche, ni un cerf, ni un daim, ni un chevreuil où que sais-je encore ! Ensuite, les pas étaient lourds, ce n’était donc pas un renard ni un lièvre. Et pour finir, ils ne se faufilaient pas entre les buissons : ils les détruisait dans un petit fracas sourd. C’était donc lui, le sanglier. Je le sentis se rapprocher de moi, sans doute à cause de mon cri.
Je reculais rapidement de plusieurs mètres grâce à l'adrénaline, plissais les yeux, prêt à voir la bête surgir, me préparant à l’ultime scénario où je devrais la frapper de mon bâton. J’appelai mon père en criant « Attention, sanglier ! », qu'il puisse me ramasser à la petite cuillère au cas où ! Et finalement, rien. Je m’étais tellement éloigné du bruit qu'en revenant, je n’entendais plus rien. Il avait dû dévier de notre trajectoire. Mon père et moi avions tout de même pris la décision de rester groupés le temps de passer près des fourrés en question, bâton en main. Je me demande s’il aurait pu s’agir d’une chèvre… Je doute, puisqu’il se déplaçait assez vite, ce qui n’est pas très habituel chez les ovins. Quoi qu’il en soit, ce fut une expérience sacrément amusante !''
Extrait du journal d'un montagnard #
Le peuple corse a été christianisé très tôt. L’Église d’Ajaccio indique que le christianisme est présent sur l’île dès l’Antiquité tardive : l’introduction de la foi chrétienne y est datée vers la fin du Ier siècle/début du IIe siècle. Dès la fin du VIe siècle, un évêché est attesté à Ajaccio. Cela montre que le christianisme a réussi à s’implanter très rapidement et de manière durable en Corse, ce qui lui confère aujourd’hui une légitimité culturelle et sociale dans la mémoire collective corse que le peuple n’a jamais remise en question, contrairement à la France continentale, où la désolidarisation religieuse est beaucoup plus forte après le travail des lumières et de la révolution.
Le fait que le christianisme ait été pratiquement la seule religion de l’île pendant des siècles constitue un argument sociologique puissant : par effet de norme culturelle, les jeunes générations sont inconsciemment orientées vers cette foi. Ce poids historique et social du christianisme influence encore la vie politique et culturelle de l’île.
L’islam est présent en Corse, à hauteur de 10-12 %, de la population, il représente 42 000 sur 340 000 habitants, ce qui est notable. Cependant, il n’a pas la même implantation ni la même popularité que le christianisme. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette différence :
Le passé historique de l’île, marqué par les invasions barbaresques, a façonné une population méfiante envers les influences du monde arabe comme l'islam.
La Corse reste majoritairement conservatrice et tournée vers ses coutumes locales, ce qui limite l’influence des communautés nouvelles.
Les dynamiques politiques locales favorisent les partis régionalistes et indépendantistes, tandis que les partis nationaux plus progressistes ou diversifiés (comme LFI) stagnent.
Les résultats électoraux illustrent cette tendance : les partis régionalistes et indépendantistes dominent toujours, le RN progresse, ce qui reflète un ancrage dans des valeurs conservatrices et identitaires, tandis que LFI stagne.
En conclusion, le christianisme bénéficie en Corse d’un enracinement ancien et durable, qui lui confère une légitimité culturelle et sociale indéniable. Il est peu probable que ce dernier soit remis en question dans les futures années ou perde en popularité à cause de la montée en puissance d'une autre religion, en revanche l'agnosticisme augmente, la Corse demeure pour l'instant chrétienne.
La pratique religieuse aujourd’hui :
Aujourd’hui la population corse reste majoritairement catholique. Selon les autorités ecclésiastiques locales, près de 9 Corses sur 10 déclarent être de confession catholique, une proportion bien plus élevée que dans le reste de la France. À titre personnel, une majorité de corses rencontrés sur les sentiers se disaient catholiques, bien que ce n'était pas systématique, cela dit ceux qui ne l'étaient pas, parler du christianisme avec précaution et toujours un grand respect, jamais un dégoût prononcé comme on retrouve chez les jeunes générations continentales, alors même que l'un d'eux étaient un Homme de Lettres partie étudié à Toulon dans sa jeunesse, il ne croyait pas le moins du monde en la religion, néanmoins, il respectait. En chiffres de l’Église, le diocèse d’Ajaccio (qui couvre toute la Corse depuis le premier empire) recense environ 340 000 habitants pour 277 000 catholiques (81,5 %). Toutefois, comme sur le continent, la pratique régulière est en déclin : la messe dominicale attire moins de fidèles qu’autrefois. Néanmoins, les fêtes religieuses attirent encore de nombreuses familles. L’évêque d’Ajaccio souligne que la foi y est « plus visible ici, plus sensible, avec processions, chants et traditions soignées », ce qui ne surprend guère : « dans les villages corses, les églises sont encore fleuries, les villes célèbrent leurs saints et les fêtes religieuses sont l’occasion de grands rassemblements où toutes les générations se mêlent ».
Le maillage paroissial reste dense. La Corse ne compte qu’un diocèse (Ajaccio) mais 434 paroisses. Autrement dit, il existe sur l’île plusieurs centaines d’églises et de chapelles catholiques. Beaucoup de communes, même de petite taille, ont leur église paroissiale, et l’Église évoque 126 édifices religieux liés à la Vierge (70 d’entre eux portant le nom de « Santa Maria »). Les trois quarts de ces paroisses sont desservis par un prêtre résident (59 prêtres en poste).
Tradition et pèlerinage :
Les traditions populaires liées à la foi demeurent très vivaces. La Corse célèbre avec ferveur les fêtes de saints locaux : par exemple, chaque 15 août, l’île tout entière fête l’Assomption (« Santa Maria Gloriosa »), événement religieux majeur qui embrase l’ensemble du territoire insulaire, pour laquelle on sort la vierge d'argent de Bastia par exemple, vierge que je n'ai justement pas pu voir dans son église car elle devait être en préparation pour l'évènement ! La ferveur mariale se manifeste par de nombreuses processions et messes en plein air. On peut voir des statues de la Vierge vénérées dans chaque village. Ces dévotions populaires rappellent le lien intime des Corses avec leur foi. Dans les zones de montagne, des pèlerinages annuels attirent les fidèles jusqu’à des chapelles reculées : par exemple, le 29 août chaque année plusieurs centaines de personnes des villages du Vénéchese et du Niolu montent à pied ou à dos d’âne jusqu’à la chapelle de Sant’Eliseu, perché sur le Monte San Eliseo que j'ai visité. Ce sanctuaire isolé est un haut lieu de pèlerinage corse – des centaines de pèlerins rejoignent à pieds, à dos d’âne ou de chevaux la chapelle, à plus de 1 200 mètres d’altitude. Plus généralement, presque chaque saint patron a sa chapelle et sa fête très souvent en août, peut-être même tous les jours une fête ! Où la population se rassemble en dépit des sentiers escarpés. Ces pratiques de piété populaire sont bien plus marquées qu’en métropole, il y a même la plage de Capu di Muru, où de nombreuses niches de saint jalonnent les granits !
Relations avec l'église et le pape :
Les liens des Corses avec l’Église sont forts. Le diocèse d’Ajaccio est dirigé par un cardinal : François-Xavier Bustillo, nommé en 2023 par le pape François. En décembre 2024, le pape François a effectué une visite historique en Corse. Il a célébré une messe en plein air à Ajaccio devant des milliers de fidèles et a rendu hommage à leur « piété populaire ». Lors de cette journée, il s’est dit « comme à la maison » parmi les Corses, et il a même loué la « saine laïcité » corse, appelant de ses vœux une laïcité « à la corse » plus souple qu’en métropole. En somme, la papauté reconnaît et encourage cet enracinement chrétien corse. Malgré la tendance générale à la sécularisation, l’Île de Beauté conserve donc une pratique catholique vivante, teintée de traditions locales très soignées.