Il fallait d’abord gravir un plateau couvert de maquis, tantôt végétal, tantôt minéral, parsemé de chaos granitiques, puis descendre à pic vers les côtes pour rejoindre le phare de Capu di Fenu. Il faisait très chaud en cette après-midi, si chaud que je ne croisais personne sur les sentiers, à l’exception d’un randonneur normand et de sa femme, revenant tous deux du phare. J’avais déjà rencontré ce charmant couple deux bonne heures plus tôt, et ses premiers mots furent : « Alors, vous êtes descendu jusqu’en bas ! Vous avez vu le phare ? » Je lui répondis : « Ah non, il y a méprise, je viens de Bonifacio. » Il me dit alors : « Ah, c’est pour ça que vous êtes tout transpirant. Et vous allez faire quoi ? »
Je lui expliquai que j’attendais mon père près de l’église pour voir s’il souhaitait m’accompagner jusqu’au phare. Plus tard, quand je recroisai ce Normand, la première chose qu’il me dit fut : « Alors ! Votre père n’est pas venu ! » C’était amusant. Je le rassurai en lui disant que si, mais que j’allais continuer ma route seul jusqu’à la plage de Tonnara. Il me demanda si j’étais Corse, puis se ravisa en disant : « Non, quand même pas », et c’est à ce moment-là que j’appris d’où il venait. Il me donna alors tout un tas de conseils sur l’emplacement du phare et les meilleurs endroits pour se baigner, tout en me mettant en garde contre le soleil. Quel bon monsieur, vraiment !
Extrait du journal d'un montagnard #
J'avais chaud, vraiment très chaud. Faute de chance, il n’y avait presque pas d’ombre sur le sentier, excepté au petit détour d’une ruine de berger construite près d’une forêt, où j’ai pu me reposer un peu. Mais après cela, plus rien : le soleil pur et incandescent me brûlait de part en part. Quand j’eus la surprise de trouver le phare du Capu di Fenu ouvert, je remerciai immédiatement la providence, le seigneur pour un tel cadeau. Ce fut le premier phare que je voyais ouvert depuis le début de mon voyage en Corse !
Extrait du journal d'un montagnard #
Les Phares et Balises ont songé à éteindre le fanal de Fenu, notamment depuis que la haute tour balise des Moines porte un feu à la puissance bien supérieure. C'est à la demande des pêcheurs de langoustes qu'il a été maintenu dans les années 1950 : Fenu ne signale plus que le cap lui-même.
Au dessus de Fenu, le massif de la Trinité a accueilli des ermites sans doute depuis le Ve siècle. Pendant des siècles, les moines ont allumé et entretenu un feu au sommet du massif rocheux, participant ainsi à la sécurité des navigateurs.
Capu di Fenu marque la frontière d'une zone de non prélèvement de la réserve naturelle des bouches de Bonifacio où la plongée et la pêche sous-marine sont interdites. Une mesure essentielle pour assurer le renouvellement de milieux marins appauvris. Il est loin le temps où les gardiens de phare nourrissaient leurs poules de langoustes !
Allumé en 1854, le fanal de la Madonetta signale l'entrée du port de Bonifacio.
Au loin vers le sud-est, perché sur sa falaise blanche, le phare de Pertusatu est, sur la terre ferme, le plus méridional de FRance. Il est surtout le premier phare allumé dans les bouches de Bonifacio, le 15 novembre 1884. C'est un phare de premier ordre, dont l'imposante optique porte la lumière à plus de 25 milles, soit plus de 40 kilomètres.
En 1855, une effroyable tempête brise la frégate La Sémillante sur l'île Lavezzu, ne laissant aucun survivant : l'équipage, les soldats, les passagers...On déplore plus de 700 morts. Ce naufrage marque tant les esprits qu'il est décidé d'améliorer l'éclairage des bouches de Bonifacio : Bientôt, fanaux, phares balises et amers complètent la puissante lumière du phare de Pertusatu, aussi bien côté corse que côté sarde.
Le phare des Lavezzi au cœur des bouches, a été bâti en même temps que le fanal de Fenu et allumé le même jour, le 15 mai 1874.
La ligne maritime qui relie le phare de Pertusatu aux écueils des Moines passe par le Capu di Fenu, ces trois emplacements sont dotés de phares et de balises pour éviter le pire.
À la fin des années 1860, les écueils des Moines, principal danger à l'ouest des bouches de Bonifacio, ne disposent que d'une petite tourelle peinte en blanc, sans éclairage. Il apparaît nécessaire de compléter la sécurité du passage des bouches de Bonifacio, dont les dangers ne sont alors signalés que par le phare de Pertusatu, le fanal de la Madonetta et plusieurs balises.
C'est donc là qu'on décide de construire en 1870 un phare pour éclairer les Moines, ''de telle sorte qu'un navire venant de France en laissant au nord du feu de Pertusatu celui de FEnu serait sûr d'être au large de ces dangereux écueils.''
Le fanal de Fenu est édifié en même temps que le phare des îles Lavezzi à partir des pierres taillées dans les anciennes carrières romaines de l'îlot San Bainzu, abandonnées pendant près de 1500 ans. Les pierres sont acheminées par bateau jusqu'au cap.
L'édification d'une signalisation maritime sur l'écueil des Moines a demandé plus de temps de construction que n'importe quel phare de l'île : En 1866, la construction d'un caisson maçonné sur les rochers sous-marins des Moines demande aux ingénieurs et aux maçons de recourir à des solutions techniques innovantes pour immerger le ciment. Il est malheureusement emporté quelques semaines après sa pose.
En 1867, le caisson maçonné est remplacé par une tourelle de béton mais dès le premier hiver, une tempête arrache la nouvelle balise de fer. En 1868, les fondations de béton sont exhaussées jusqu'à 3 mètres de hauteur pour porter une troisième balise de fer qui, à peine posé est à nouveau emportée. Les phares et Balises renoncent à poser une balise : La tourelle est achevée par un dôme de maçonnerie peint en blanc. À partir de 1874, ce dôme est éclairé, la nuit, par le fanal de Fenu.
En 1887, la tourelle est percutée par le vapeur Tasmania, qui sombre à sin pied. La maçonnerie de l'édifice est endommagée. En 1899, malgré la présence du phare de Senetosa et du fanal de Fenu, les Phares et Balises décident de remplacer la tourelle abîmée par le Tasmania.
Le chantier est dantesque : La nouvelle tour est bâtie sur un écueil qui n'émerge jamais. Les premiers travaux, en 1904, sont endommagés par les tempêtes hivernales. Il faut tout reprendre : On tente de niveler les vagues en déversant de l'huile à la surface, méthode qui ne donne aucun résultat. Alors les ouvriers bâtissent une muraille de sacs de sable pour tenter de casser les vagues qui viennent crever les caissons immergés des fondations.
De surcroît, les courants empêchent le voilier Jeanne d'Arc d'accoster sur les îlots. Les gâcheus sont obligés de travailler sur le bateau pendant les manœuvres, qui durent parfois des heures, puis un pont volant permet de porter le mortier aux maçons. Pour couronner le tout, les ouvriers souffrent de la malaria : Leur campement, sur la plage de Roccapina est bordé par un marais pestilentiel. Après bien des peines et des milliers de francs dépensés, la tour s'élève à 25 mètres au-dessus des flots. Son feu, allumé en 1906 porte à 21km
Le feu de Fenu est un édifice étonnant, qui ne ressemble à aucun autre phare ou fanal en Corse : Une simple tour à trois niveaux de 12 mètres de hauteur, sur section carrée. Les deux premiers étages servent de logement au gardien. Au dernier étage, une fenêtre laisse passer un petit peu feu de direction destiné à éclairer le dôme blanc de la petite tourelle qui se dresse alors sur les écueils des Moines.
On sait peu de choses de la vie des gardiens qui ont veillé la lumière de Fenu, le feu à l'huile puis le feu à vapeur de pétrole. Deux gardiens se relayaient, puis un seul, qui habitait au phare et améliorait son ordinaire en pêchant et en cultivant un petit jardin dont l'enclos a été restauré par le conservatoire du littoral. À la fin du XIXe siècle un petit bâtiment annexe abrite un hangar, un pigeonnier et une lapinière qui permettent au gardien d'élever des animaux.
l'Isolement du site peut être synonyme de dangers : en 1887, le phare est attaque par plusieurs hommes armés de fusils. Le gardien parvient à s'enfuir sur un canot, après s'être échappé par la fenêtre du soubassement. On imagine alors un système de communication visuelle entre Fenu et le sémaphore de Pertusatu, à l'aide de ballons et de drapeaux.
Dès 1931, Fenu n'est plus gardé : La faible puissance du feu permet l'installation d'un système à gaz autonome, comme tous les phares bonifaciens, Fenu est endommagé par l'armée italienne lors de la libération de la Corse en 1943. À la demande des Alliés, le système d'éclairage est rétabli sans doute au tout début de 1945.
Au loin vers le nord-ouest, émergeant à peine des vagues, les écueils des Moines sont le principal danger pour qui traverse les bouches de Bonifacio du côté du Ponant. L'éclairage du petit dôme blanc de la tourelle est utile aux navires venant du nord mais il n'empêche pas le vapeur anglais Tasmania, venant du sud par une nuit de tempête en 1887, de se fracasser ironiquement sur la tourelle ! Le naufrage, au triste bilan de 35 morts, a un retentissement considérable : À bord se trouvait un maharadjah porteur d'un coffret de pierres précieuses destiné à la reine Victoria. Le trésor est sauf, les passagers aussi, secourus par les habitants...En réponse à ce drame, on construit le phare de Senetosa, achevé et allumé en 1892.
Au loin vers le nord, la silhouette du lion de Roccapina semble veiller l'horizon. C'est à son pied, sur la plage, que les survivants du Tasmania furent recueillis en 1887. C'est ici également que les Phares et Balises installent les hangars et baraquements des ouvriers lors du chantier de la tour balise des Moines entre 1904 et 1908. Pour acheminer les matériaux jusqu'à la plage, on ouvre une piste depuis la route. L'ingénieur est logé à la maison cantonnière, mais dans leurs baraquements proches d'un marais les ouvriers souffrent du paludisme et de la malaria. Quinine et vin au quinquina font partie de leur ration quotidienne. Dans les années 1910, le faible feu de la tour balise des Moines n'étant visible ni depuis le phare de Senetosa ni depuis celui de Fenu, seul le cantonnier de Roccapina était à même de vérifier que la balise était bien allumée.
À partir de là, ont défilé des décors de rêve, composés de criques, de plages, d’océan, de végétation et d’animaux sublimes. Avant d'écrire ces lignes, je ne m’en souvenais plus vraiment, mais c’est réellement sur ce sentier des douaniers que j’ai eu l’impression d’entrer dans un autre monde. Les paysages étaient si beaux qu’à chaque nouvelle crique, j’en oubliais la précédente. L’eau n’était plus un problème, même si, au fond, je gardais toujours une petite appréhension. Merci Seigneur : durant ce séjour, avec plus de 150 heures de randonnée, je n’ai fait aucun malaise, les malaises me font peur, seul au milieu de la nature, ils équivalent à une mort assurée.
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Une chèvre sauvage corse… comme c’est beau ! Ici, impossible de se fier au tintement distinctif d’une cloche pour deviner sa présence : elle n’en porte pas. Cette créature n’a ni Dieu ni maître, elle est libre et fait sa propre loi dans le maquis. Pour l’entendre, je devais me laisser guider par son bêlement, sans doute appelait-elle ses compères avant même de m’apercevoir, cherchant à savoir où ils se trouvaient.
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Cette fleur aux couleurs si vives, qui contraste avec la nature asséchée autour d’elle, n’est pas n’importe quelle plante. Il s’agit de la griffe de sorcière, introduite en Corse au XXᵉ siècle pour stabiliser les sols sablonneux grâce à ses racines profondément ancrées, limitant ainsi l’érosion et le recul des terres, et, disons-le, embellissant involontairement les paysages !
Si ses objectifs initiaux ont été atteints et qu’elle s’est montrée utile pour protéger certains littoraux, ses effets secondaires n’ont pas tardé à se révéler préoccupants. Espèce invasive, elle s’est imposée au détriment des plantes locales incapables de rivaliser, les plantes asséchées autour d'elle ne sont pas le fait du hasard. En formant des tapis denses, elle étouffe la flore indigène, réduit la biodiversité, modifie la composition des sols et prive la faune de ses habitats naturels. Aujourd’hui, elle est considérée comme une véritable menace écologique et fait l’objet de campagnes d’arrachage pour restaurer les milieux naturels corses.
C’est triste, tout de même, qu’une plante si belle soit devenue source de tant de problèmes… Il paraît qu’en saison, elle déploie même de magnifiques fleurs jaunes ou violettes. Cela me rappelle les bergers pyrénéens pratiquant l’écobuage annuel : en brûlant des pans entiers de montagne, ils cherchaient à contenir certaines espèces envahissantes pour laisser place aux plantes consommées par les troupeaux d’ovins.
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À peine avais-je plongé la tête dans l’eau pour me rafraîchir que je l’aperçus, là, juste devant moi, la sienne hors de l’eau. Difficile de croire qu’il n’était pas là pour moi ! Je ne connais pas bien les poissons, mais normalement, ils sont craintifs et s’éloignent de la grosse bestiole. Celui-ci, au contraire, semblait venir à ma rencontre. Ça ne m’étonnerait pas que ce soit une espèce territoriale : un petit banc de bébés nageait juste derrière lui…
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Ce gros rocher près de la plage de la Tonnara est un affleurement de granite corse. Sa couleur rougeâtre provient du feldspath potassique, un minéral qui s’oxyde à l’air et prend des teintes allant du rose au brun, contrastant avec le gris du quartz et le noir du mica. Les grandes fissures visibles sont des diaclases, apparues lors du refroidissement et de la contraction de la roche, puis élargies par l’érosion du vent, de la pluie et du sel marin.
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