Au nord d’Ajaccio, Cargèse est un village de Corse-du-Sud perché sur une colline dominant la mer. Avec ses ruelles étroites et fleuries, il charme les visiteurs autant par son atmosphère que par son histoire singulière, l’une des plus originales de l’île.
À la fin du XVIIᵉ siècle, une colonie grecque de Vitylo, dans le Péloponnèse, forte de près de 800 personnes, décide de fuir l’oppression ottomane. Par la mer, elle rejoint la Corse et obtient de la République de Gênes l’autorisation de s’installer dans la région de Sagone. Le 14 mars 1676, ces familles fondent ainsi le village de Paomia. Mais leur présence est mal acceptée par les populations locales, qui les considèrent à la fois comme des alliés des Génois et comme des étrangers aux coutumes et à la foi différentes, puisqu’ils pratiquaient le culte orthodoxe. En 1731, lorsque les Corses se soulèvent contre Gênes, les Grecs sont chassés à Ajaccio, tandis que Paomia est brûlé et pillé : un épisode tragique qui illustre la spirale de violence où ceux qui souffrent finissent par faire souffrir à leur tour, et tentent même de se faire meilleurs tortionnaires que les précédents.
Il faut attendre 1769, année du rattachement de la Corse à la France, pour que renaisse l’espoir. Le Comte de Marbeuf, gouverneur de l’île, décide alors de fonder le village de Cargèse sur l’emplacement d’un ancien hameau de relogement. Il fait construire des maisons pour ces familles grecques exilées. Aujourd’hui encore, le village conserve le témoignage de cette rencontre entre deux peuples : Ses deux églises, l’une grecque et l’autre latine, se font face, dans un silence solennel témoignant d'un respect mutuel pour les traditions respectives de leurs peuples.
De nos jours, à Paomia, on peut toujours voir les vestiges des anciennes églises et habitations grecques, témoins de cet exil et de cette installation mouvementée. Quant à Cargèse, il incarne la possibilité du vivre-ensemble : la fusion entre Corses et Grecs s’est réalisée au fil des générations, notamment grâce aux mariages, et la communauté vit désormais dans une harmonie qui fait partie intégrante de l’identité culturelle de la région.
- Site Mairie de Cargèse -
L’église, de style néoclassique, se caractérise par une façade occidentale à deux niveaux séparés par un entablement dorique, rythmée par des pilastres, et est couronnée d’un fronton cintré. Un clocher à quatre pans, surmonté d’un lanternon octogonal, s’élève sur le flanc nord.
Ce clocher a été adjoint tardivement à l’édifice, en 1887. L’église est pourvue de trois cloches. Deux cloches battantes moyennes, dont le son est puissant, se situent à l’étage supérieur. A l’étage inférieur se trouve « a cicona », cloche surdimensionnée (600 kg) par rapport à celle des autres églises villageoises, qui produit un son grave que l’on entend à l’occasion des grandes fêtes. L’installateur des cloches a souligné la beauté du son produit dans son rapport, « un des plus jolis de Corse, peut-être le plus beau de l’arrondissement d’Ajaccio ».
L’intérieur de l’église est constitué d’une nef à vaisseau unique de trois travées horizontales visible au niveau de chaque lunettes, couverte d’une voûte en berceau à lunettes et comprend deux chapelles latérales en hémicycle en voûte à caissons simulés, dont les couleurs ont été reprises par un peintre cargésien, Edmond Rochiccioli, entre 1970 et 1975.
L’église est ainsi pourvue de deux autels latéraux : l’un destiné à la Vierge en majesté d’or, et l’autre à Saint Antoine. Le décor présent autour des autels apporte une lumière douce au chœur, par ses peintures aux teintes claires et pastels.
Les représentations présentes à l’intérieur de l’église sont de style baroque classique. Les peintures, trompe-l’œil, ont été réalisées par Nicolas Ivanoff entre 1928 et 1930. Ce dernier a ainsi réalisé la majeure partie de la décoration, ainsi que la voûte.
Je n'ai pas de photos de l'extérieur de l'église Grecque malheureusement, car je n'ai pas trouvé d'angle correct.
- Site mairie de Cargèse -
Les Grecs durent reconnaître l’autorité du Pape dès leur arrivée à Paomia, afin que ce lieu de culte puisse voir le jour. Il est officiellement incorrect d’énoncer que l’église grecque est orthodoxe. En réalité, cette église est grecque catholique de rite byzantin, et ses paroissiens sont des chrétiens d’Orient, c'est ce que dit la mairie de Cargèse. En revanche, officieusement : les Grecs de l'époque furent dans l'obligation de reconnaître l'autorité du Pape, mais en réalité, ils la niaient complètement dans leurs cultes et leurs philosophies. Ainsi, ils demeuraient orthodoxes dans l'âme, et l'église, n'étant que le reflet de ces croyants, le demeurait également.
Lorsque les Grecs-Maniotes en provenance d’Ajaccio arrivèrent à Cargèse en 1776, aucune église n’avait été bâtie pour accueillir les fidèles. Les offices furent ainsi célébrés selon le rite byzantin dans un local correspondant à deux maisons construites à l’entrée du village. En 1804, suite à la nomination d’un curé de rite latin, les cérémonies religieuses de chaque communauté furent célébrées alternativement dans ce même lieu, ce qui provoqua des frictions. Afin de remédier à cette situation, il fut décidé que chacune des deux communautés construirait sa propre église.
Les premières réflexions liées à la construction de l’église latine ont démarré en 1817, sous l’impulsion des fidèles. En 1822, les caractéristiques principales de l’édifice furent établies. Celui-ci sera construit par suite, grâce notamment aux fonds recueillis via une souscription. L’église sera définitivement achevée en 1850. Aussi, l’édifice a été inscrit en totalité sur l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques, via un arrêté préfectoral du 13 février 1989.
Le clocher octogonal abrite trois cloches. La plus ancienne et la plus modeste sonne l’Angélus. Les deux autres cloches sont respectivement dédiées à l’Assomption de la Vierge Marie et à Saint Spyridon.
Une inscription figure au-dessus de la porte d’entrée, où l’on peut lire « OIKOS THEOU » : maison de Dieu. En effet, pour les catholiques de rite oriental, comme pour les orthodoxes, l’église est l’incarnation des cieux sur la terre et a pour fonction de manifester la présence permanente en ce monde du Royaume de Dieu.
L’aspect extérieur de l’église est de type occidental. Cet édifice est de style néogothique, à nef unique, de plan rectangulaire. Si l’architecture de l’église n’est en rien byzantine, la décoration intérieure l’est. Les statues, orgues, bénitiers et tables de communion ne figurent pas au sein de l’église, car il s’agit d’éléments étrangers au rite oriental.
Quatre icônes venues de Vytilo en 1676 ornent cet édifice religieux. La divine liturgie y est célébrée selon le très classique rite byzantin, et en langue grecque. L’Epitaphios figure parmi les icônes : celui-ci est accroché à la tribune située au-dessus de la porte d’entrée. Il s’agit d’un bas-relief en bois peint représentant la mise au tombeau du Christ, qui porte les stigmates de la crucifixion. On y voit la Vierge Marie, au milieu, entourée de Saint Nicodème et de Saint Joseph d’Arimathie, penchés sur le corps du Christ.
Les fresques, réalisées de 1987 à 2001 à l’initiative de Monseigneur Florent Marchiano, archimandrite de la paroisse grecque, ont remplacé en partie la décoration en trompe-l’œil du peintre cargésien d’origine russe Nicolas Ivanoff, à qui l’on doit la décoration de la voûte et les cinq motifs du sanctuaire.
Une superbe iconostase (séparation de bois richement pourvue d’icônes et peintures) offerte à l’église de Cargèse et datant de 1886 sépare le sacré et le profane, une partie renfermant l’autel et étant dédiée à l’officiant, et une autre rassemblant les fidèles. Cette iconostase est percée de trois portes. La porte centrale, dite porte royale, symbolise la porte du ciel, autrement dit le salut. Les deux portes latérales représentent les portes du paradis terrestre, fermées après la chute d’Adam et Ève.
Ce que je trouve superbe à Cargèse, c’est que les Corses ont réussi à dépasser les à priori et les jugements de valeur primaires pour parvenir à vivre main dans la main avec une autre communauté, les Grecs. Bien sûr, chasser le naturel et il revient au galop : il est dans la nature de l’homme de privilégier les siens. Ainsi, à travers l’histoire, des tensions religieuses ont parfois existé entre les deux groupes, notamment lorsqu’ils partageaient le même lieu de culte en période difficile. Mais aujourd’hui, ils vivent dans une paix durable, respectant les mœurs et traditions de chacun. Je n’irai pas jusqu’à dire que nous devrions prendre exemple, car nous ne pouvons pas prendre le fait empirique d'un village pour l'étendre à la généralité d’un pays entier, mais cette histoire est inspirante, ça c’est le cas de le dire !
Extrait du journal d'un montagnard #