Le couvent d'Orezza est un haut lieu du patrimoine religieux et historique de la Corse. Ce couvent de franciscains, construit au XVIIe siècle, a présidé de nombreuses consultes, des assemblées politiques populaires pendant les révolutions de Corse de 1729 à 1769. En 1731, des théologiens y décrétèrent le caractère « saint et juste » de la révolte de la Corse contre Gênes. C'est ici qu’en 1735, les chefs de l’insurrection corse, dont le célèbre Ghjacintu Paoli, le père de Pasquale, proclamèrent l’indépendance de la Corse, et placèrent le peuple corse sous la protection de l’Immaculée Conception et auraient même adopté le Dio Vi Salvi Regina comme hymne national.
Pascal Paoli y a séjourné afin de descendre à la source d’Orezza prendre les eaux. En 1790, à son retour d’exil, après avoir été acclamé par la grande Cunsulta des Corses qui lui avait conféré les pleins pouvoirs — président du Conseil général et commandant en chef des Gardes nationaux — le futur empereur Napoléon Bonaparte participa par ailleurs à cette consulta, entouré d’illustres notables. Cela permet de remettre en question le caractère « populaire » de ces réunions, qui demeuraient surtout des assemblées de notables influents.
Des sources indiquent que tous sont arrivés à cheval, la plupart depuis Bastia, où ils étaient venus chercher Paoli, de retour de vingt-deux ans d’exil en Angleterre. Un cortège d’un millier de cavaliers est d’ailleurs évoqué à cette occasion. Paoli ouvre l’assemblée par un grand discours. Il y énonce les leçons de l’histoire : « Les Corses, durant son généralat, ont réussi à se gouverner eux-mêmes, sous une constitution qu’ils s’étaient librement donnée ; leur gouvernement était démocratique alors même que, comme viennent de le montrer les événements les plus récents, le monde entier gémissait sous le sceptre des rois. Il tire par là les leçons de l’histoire. » Ainsi, ces réunions n’étaient définitivement pas pour le peuple quelconque.
Quoi qu’il en soit, la réunion d’Orezza marque la victoire des patriotes sur les monarchistes. Paoli devint, peu après cette consulta, chef des troupes en plus de ses précédentes fonctions octroyées. Il est donc à la fois à la tête des pouvoirs civil et militaire, ce qui paraît inadmissible dans l’esprit de la Constitution que l’Assemblée nationale est en train d’élaborer. Mais cette situation représente sans conteste le point de vue unanime des participants de la réunion d’Orezza. Pascal Paoli avait besoin des pleins pouvoirs pour repousser les Génois puis les Français qui menaçaient le maintien de cette constitution. Tous étaient d’accord, les frères Bonaparte compris. Car Orezza est un des rares moments de quasi-unanimité des Corses, et en tout cas du parti patriote.
Le couvent d’Orezza a été édifié en 1485 par les mineurs observantins, qui l’ont ensuite cédé aux Réformés. L’église San Francescu, qui était pavée de carreaux et entourée à l’est d’un bosquet d’yeuses, et comprenait 6 chapelles et le maître-autel, a été construite par les franciscains. Elle est tombée en ruines à partir de 1832, date à laquelle elle a été vendue 1 025 lires à des particuliers, et les terres environnantes en 1828 pour 4 600 lires. Plus tard, le presbytère, le couvent, l’oratoire, les terres restantes et les châtaigniers ont été cédés, également à des particuliers, pour 9 200 lires.Après son abandon, l’église servit de cimetière puis d’écurie aux gendarmes. Dans ses dépendances, les 4 dortoirs pavés d’ardoises, une cuisine dans laquelle jaillissait une source d’eau vive, un long bâtiment annexe à usage divers : on y avait même installé, vers la fin du XIXe siècle, un bistrot et une boîte de nuit.Pendant la Seconde Guerre mondiale, les occupants italiens avaient fait du couvent un dépôt de munitions qu’ils firent sauter à l’approche des Allemands venus occuper le canton en septembre 1943.
Nous ne comprenons guère les ruines que le jour où nous-mêmes le sommes devenus ».
Ce proverbe d’Heinrich Heine frappe mon esprit à chaque fois que je l’entends. N’est-ce pas vrai que nous ne nous préoccupons des malheurs d’autrui que lorsqu’ils viennent sonner à notre porte, lorsqu’ils menacent de nous atteindre également et que nous devons faire front commun pour y pallier ? Mais bien souvent, il est déjà trop tard.
Et en même temps, pourquoi se soucier de tout cela ? C’est fastidieux, épuisant. L’homme heureux est un homme simple. Si des gens se retrouvent dans une mauvaise situation, c’est qu’ils ont commis une erreur qui les y a conduits, et l’affaire est close. Non… en réalité, nous savons pertinemment que tout cela n’est pas aussi simple. Nous-mêmes, il nous arrive de traverser des épreuves de vie que nous aurions autrefois méprisées si elles étaient arrivées à autrui.
Ainsi, la ruine de chacun devient une leçon à tirer, pour éviter de la reproduire à notre tour. Car n’oublions pas que le monde est ancien, et que les hommes répètent sans cesse les mêmes erreurs à travers l’histoire. Et bien sot est celui qui prétendrait ne jamais pouvoir tomber dans la ruine comme ses pairs. Les ruines sont donc, à bien des égards, des perles de sagesse dont il faut tirer profit.
Extrait du journal d'un montagnard #