Sartène

Publiée le 28/09/2025
Un bref arrêt dans la ville de Sartène, c'est un joli hameau, une église notable, et une belle vue sur la plaine avoisinante, elle fût aussi le théâtre d'une des plus grandes razzia de Corse par le roi d'Alger, Hassan Veneziano qui finit par y mettre le feu au point de pratiquement la raser.

Nous retracerons une dernière fois les invasions barbaresque au rythme de la découverte de Sartène

Souvent appelée par le diminutif de « Mare Furiosu », cette terrible période d’affrontements entre l’Orient musulman et l’Occident chrétien, où les Corses se retrouvèrent pris au piège entre les deux, mérite mon attention toute particulière. Je n’ai encore jamais visité de territoire véritablement ravagé par une puissance étrangère ; la Corse est donc le premier.

Car, disons-le clairement : si les corsaires barbaresques se retranchaient derrière le paravent d’une guerre religieuse ou d’une autorisation étatique pour commettre leurs méfaits, dans les faits, capturer des paysans, incendier des villages d’une trentaine d’âmes et piller jusqu’au moindre cellier, sans jamais tenter une seule fois d’assiéger une ville capable d’opposer une résistance, n’a rien d’une tactique militaire ni d’un effort de guerre contre un véritable « opposant ». Quand ces attaques ciblaient pendant des siècles exclusivement des paysans corses, qui n’avaient jamais manifesté la volonté d’affronter l’Empire ottoman, il s’agissait bien plus d’une stratégie opportuniste de pillage, de vol et d’assassinat que de l’action d’un véritable forban, censé en théorie combattre les ennemis d’un empire — militaires, bandits et parfois civils, mais non pas frapper exclusivement des populations civiles non conscrites.

Et pour ceux qui rappelleraient qu’un civil peut devenir soldat par la conscription forcée et que, de ce fait, les corsaires cherchaient à limiter le problème à la racine par une tactique d’harcèlement, je veux bien entendre l’argument. Cependant, plusieurs faits m’amènent à douter de cette explication. À Alger, parallèlement aux courses barbaresques en Corse et en Occident, s’ouvrait le plus grand port d’esclaves de la Méditerranée. De plus, les premières attaques barbaresques remontent à la chute de l’autorité romaine sur la Méditerranée et sur la Corse, après sept siècles de tutelle. Dès lors que l’île fut occupée par les Lombards (630–756), les Sarrasins — Arabes, Maures ou Berbères — y opérèrent débarquements et incursions. Dès le VIIIᵉ siècle, ils se livrèrent aux mêmes pillages et destructions que les Vandales, mais avec une brutalité supplémentaire : persécutions religieuses et massacres de civils. La preuve, selon moi, que bien avant les guerres dites « saintes », ces peuples avaient déjà pris l’habitude de cibler les populations civiles, et non les véritables forces armées.

Ainsi, un tel comportement me laisse dubitatif quant aux intentions profondes de ces corsaires, qui considéraient sans doute la Corse comme une réserve commode d’esclaves faciles à capturer, tant qu’ils évitaient d’affronter les soldats de métier retranchés dans les villes génoises. D’ailleurs, aucune source n’atteste que la puissance ottomane ait jamais réussi à prendre et à conserver durablement une seule ville corse. Certes, ils parvinrent parfois à établir des camps, comme à Porto où leur présence se prolongea quelque temps, mais jamais de façon stable ni définitive.

La plaine de Sartène

La faiblesse des corses face aux razzias est telle que Gênes dès le début du XVIe siècle ordonne l'édification des tours littorales de défense. « À travers les emblématiques tours génoises, le paysage littoral insulaire porte encore de nos jours les stigmates des siècles de razzias barbaresques qui firent des Corses les victimes des pirates et des corsaires musulmans. Censés prévenir les attaques et protéger ainsi les populations côtières, ces édifices - dont l'histoire n'est plus à faire et dont on retrouve d'autres typologies sur tout le littoral du bassin méditerranéen - semblent pourtant de frêles remparts face à l'intensité des attaques de navires battant pavillon ottoman sur lesquels étaient embarqués hommes, femmes et enfants réduits à la captivité », explique Sylvain Gregori.

Sartène

L'île se trouve profondément affectée par la piraterie barbaresque. Khayr ad-Din, amiral éminent de l’Empire ottoman surnommé Barberousse, ordonne la création de régences en Afrique du Nord, véritables États barbaresques, et pousse leurs incursions de plus en plus loin, mettant en péril la stabilité politique et commerciale de l’Occident chrétien. Deux événements majeurs expliquent en partie cette situation : la chute de Constantinople face aux Ottomans en 1453 marquant la fin de l'Empire Romain et de son influence en Méditerranée par la fin de l’Empire byzantin, mais aussi la Reconquista espagnole au XVe siècle, qui repousse les invasions venues du nord de l’Afrique.

La Méditerranée devient alors un espace de rivalité intense entre Chrétiens et Musulmans. Initialement, les croisades, qui laissent la Corse à l’écart, favorisent la réouverture des ports orientaux et font de Constantinople, Gênes et Venise des plaques tournantes du commerce entre Orient et Occident. Mais au XVIe siècle, l’expansion ottomane change la donne : la prise de Rhodes, de Chypre, d’Alger et de Tunis, ainsi que les exploits des corsaires Barberousse et Dragut, font des Ottomans des acteurs incontournables dans une chrétienté divisée. D’un côté, les flottes impériales de Charles Quint, dirigées par Andrea Doria, continuent de croiser jusqu’en Corse, parfois jusqu’en 1553 ; de l’autre, les forces des Valois, alliées aux galères de Soliman, obtiennent même la permission de François Ier pour passer l’hiver à Toulon entre septembre 1543 et mars 1544.

Plaine et montagne dominé par Sartène

Dès 1529, le gouverneur Pietro Giovanni Salvago tire la sonnette d’alarme sur l’ampleur du fléau : les raids barbaresques ont dévasté l’ensemble du Cap Corse, contraignant les habitants à racheter quotidiennement leurs compatriotes capturés, les plongeant dans une misère extrême. Certains Corses, prisonniers des pirates, n’hésitent pas à adopter l’Islam, devenant des renégats et servant de guides pour les expéditions destructrices. Parmi eux se distinguent Ali Corso et Hassan Corso (également connu sous le nom de Lazaro de Bastia), qui accèdent aux postes prestigieux de dey d’Alger et de bey de Tunis.

En parallèle, d’autres Corses refusent la soumission et prennent part à une véritable campagne contre les envahisseurs sous l’étendard de l’Ordre de Santo Stefano, fondé par le duc de Toscane Cosimo Ier. Cette initiative renforce la résistance chrétienne face aux corsaires barbaresques.

Sur l’ensemble de la Méditerranée, de la Sicile à la Corse, la lutte entre Charles Quint, à la tête du Saint-Empire romain germanique, et les Ottomans, transforme la mer en un théâtre de guerre permanent. Pour se protéger, un vaste réseau de défenses est mis en place : tours de guet et fortifications se multiplient à un rythme effréné. En moins d’un siècle, près de 340 tours voient le jour dans le royaume de Naples (dont environ 110 en Calabre), 140 en Sicile, 100 en Corse, 90 en Sardaigne et 50 sur le versant tyrrhénien des États pontificaux.

l'église de San Damiano

Après les raids sur Sartène, la Corse met en place des mesures défensives encore très simples, consistant principalement à allumer des feux d’alerte. L’historien Marcantonio Ceccaldi (1521-1561) explique que l’Office avait progressivement mis en place un réseau de postes le long des côtes, choisis pour leur position stratégique, formant une véritable chaîne autour de l’île. Chaque soir, après l’Ave Maria, les gardes allumaient un feu visible par les postes voisins. Si aucun danger n’était signalé, la mer restait considérée comme sûre. Dans le cas contraire, le poste qui repérait en premier des navires ennemis devait allumer un nombre de feux correspondant à la taille de la flotte.

Malgré son ingéniosité, ce système nécessitait une organisation plus solide, avec des tours de guet équipées et armées. Les Génois décident alors de renforcer le littoral en construisant des fortifications et en dépêchant des commissaires chargés de repérer les sites les plus appropriés. Comme le précise Antoine-Marie Graziani, « au cours des années 1530, l’Office de Saint-Georges repense totalement sa stratégie en Corse et envoie des commissaires extraordinaires, disposant de pouvoirs législatifs. Leur mission inclut le choix des emplacements des tours. Comme en 1637, lors d’un projet de mise en valeur, le financement de ces travaux repose sur une hausse des taxes sur le sel, ce qui signifie que ce sont les habitants eux-mêmes qui assurent leur sécurité

l'église de San Damiano (intérieur)

Malgré la cuisante défaite des Ottomans à Lépante, la menace barbaresque ne diminue pas. En mai 1583, un événement dramatique secoue jusqu’au Sénat de Gênes : Sartène est presque entièrement razziée et pillée au cours d’une attaque nocturne menée par une troupe dirigée par le renégat Hassan Veneziano, dey d’Alger. Le bilan est lourd : 420 habitants capturés et 39 tués.

Suite au rapport du gouverneur Fiesco, Gênes prend conscience des insuffisances de la défense insulaire et ordonne la construction rapide d’une tour de 15 mètres à Campo Moro. À Bastia, les habitants de Terra Vecchia sont contraints chaque soir de retirer les échelles permettant l’accès à leurs maisons, afin de prévenir toute intrusion.

À partir de 1620, la construction de nouvelles tours cesse. Hormis deux épisodes graves — la prise d’Algajola en 1643 et la grande razzia d’Olmeto en 1650 —, la pression des corsaires turcs s’amenuise progressivement après cette période, voilà la fin de ce thème si marquant de l'histoire Corse.

l'église de San Damiano (intérieur)

Description de l'église San Damiono

Je trouve que la façade de cette église est l’une des plus belles que j’aie vues jusqu’à présent. Elle se distingue par plusieurs éléments architecturaux remarquables que je vais décrire. La composition repose sur un double fronton triangulaire : le premier prend place au niveau de la corniche qui marque la séparation entre les deux niveaux de la façade, tandis que le second, plus imposant, couronne l’élévation supérieure. Ce fronton sommital est percé d’un oculus et se termine par une forme arrondie. Au-dessus se dresse une croix latine de taille impressionnante, sans doute la plus imposante que j’aie observée jusqu’ici sur un fronton d’église en Corse.

Les portails latéraux sont murés, si tant est qu’ils aient un jour été ouverts ; il est possible qu’il ne s’agisse que de faux encadrements destinés à évoquer la présence d’entrées secondaires. Le décor de façade présente une ornementation sobre mais élégante : piliers et pilastres cannelés, encadrements moulurés, et voussures au-dessus des portails formant des tympans lisses mais harmonieux. Pour finir, les deux niches ornées de statuts de saints complètent le portrait avec en dessous de petits carrés et rectangles qui rajoutent du relief à la surface, l’ensemble étant décliné dans une palette douce de beige et de blanc.

l'église de San Damiano (intérieur)

À l’intérieur, l’église est organisée selon un plan classique. La nef est bordée de travées régulières et mène à un chœur surélevé, dominé par une grande crucifixion au-dessus du maître-autel. Celui-ci est flanqué de statues d’anges et encadré par plusieurs représentations de saints. Le mobilier, notamment les bancs et le lambris, est en bois sombre, contrastant avec les murs clairs et les voûtes élevées. Un vitrail coloré. Les chandeliers, tableaux et niches ornées complètent l’ensemble sans le surcharger, et les volumes généreux de la voûte avec les barrières intérieures venant entourées le second niveau de l'édifice, signe qu'il est possible d'accéder à un chemin de ronde qui surplombe la nef principale rajoutent un sentiment de gigantisme, il faut le souligner car c'est la première fois que je  vois un chemin de ronde intérieur sous les voutes dans une église Corse.

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1 Voyage | 81 Étapes
Sartène, Corse, France
31e jour (30/08/2025)
Étape du voyage
Début du voyage : 31/07/2025
Liste des étapes

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