Le moulin Mattei, est un ancien moulin à vent situé sur la commune d'Ersa, au nord du Cap Corse. Construit à la fin du XVIIIe siècle, il faisait partie des nombreux moulins érigés dans cette région particulièrement exposés aux vents, notamment le libecciu qui traverse l'Italie et la Corse.
En 1834, le moulin fut gravement endommagé par la foudre, ce qui mit fin à son activité. Un siècle plus tard, Louis Napoléon Mattei, créateur du vin Cap Corse Mattei, racheta le moulin, le restaura, et finit par le revendre en 2004 au Conservatoire du littoral qui entreprit la finalisation de la restauration complète du moulin, aujourd'hui, il est le moulin le plus touristique de Corse et l'un des plus beaux d'Europe.
Situé au col de la Serra, à environ 365 mètres d'altitude, le moulin offre un panorama exceptionnel sur la côte occidentale du Cap Corse, l'Agriate, les sommets du Monte Padru, ainsi que sur l'île de la Giraglia et, par temps clair, l'archipel Toscan.
- Vous entendez les bribes de mémoire de quelqu'un ayant vécut ici, s'étant tenu debout à votre place en ces lieux :
Le moulin, j’y vais souvent avec mes cousins, pour des pique-niques où l’on mange la merendella de Pâques. Derrière l’oratoire, il y a ce rocher d’où l’on saute face au vent. Il faut un bon libecciu, on ouvre nos vestes, bras tendus, poings serrés dans les poches. Et on vole ! Le plus souvent on tombe...Au fait, moi c’est Maïtéa, j’ai 13 ans 3/4. Ce coin je le connais depuis toujours et c’est exactement le temps qu’il faut pour le connaître. Bientôt j’irai courir le monde, alors, si vous voulez monter avec moi, profitez-en !
En face, l’île de la Giraglia, « a Zerlaja ». Son nom vient des poissons, les jarrets ou « zerri » en corse.
Autour de l’île, leur pêche était réservée aux gens d’Ersa. Ils étaient frits, puis rangés serrés dans des tonnelets. Une couche de jarrets, une autre de feuilles de myrte, de l’huile et ainsi de suite. Cette préparation, le scabercu, se gardait plusieurs mois. Stocké dans les magazzini, petits entrepôts voûtés des marines du Cap, il était transporté en gondoles jusqu’à Marseille, Gênes ou Livourne. Babbo mon pépé, m’en parle souvent, mais il n’a plus le droit d’en manger, dommage car c’est drôlement bon.
Quand le libecciu souffle pendant des jours, je deviens folle. Je n’ai plus qu’une envie, partir ! Puis le calme revient. Ciel, mer, horizon, parfums, tout est purifié. Arbres et toits ont tenu bon. Babbo a raison, c’est aussi le vent qui fait et protège ces paysages. Et sans le vent, pas de moulin. Ceux du Col de la Serra en face, celui sous Botticella transformé en tombeau, ou derrière nous, l’ancien moulin Franceschi, le pépé de pépé. Son frère, planteur de coton en Virginie était revenu riche... avec des billets qui ne valaient pas un clou ! Et sans vent, pas d’éoliennes. J’en ai visité une. Incroyable, on se croirait dans un sous-marin.
Ici, pas de grande plaine, tout est en pente. Alors pour les plantations on a construit des terrasses. On dirait des escaliers pour géants. Quel travail ! Des kilomètres de murets et lorsque la terre manquait, les femmes en amenaient dans des couffins. Là on cultivait vignes, cédrats et câpres qu’il fallait protéger du vent et du gel. Pour le blé, la meilleure terre était celle des Agriate. Ceux de Nonza et de Farinole traversaient le golfe de Saint Florent et ensemencent les terres. Mais des gardiens restaient jusqu’à la moisson, car autrement gare aux chèvres que les bergers descendaient d’Asco ou du Giunsanni.
La brume de beau temps cache tout. Mais surprise, après la tempête, c’est comme si le vent avait déposé Capraia et Gorgona sur l’onde. Les îles toscanes ! On peut voir Capraia, Elbe, Gorgona, et parfois même la côte. Elles semblent si proches que je voudrais les rejoindre à la nage. Pareil les montagnes de la Agriate. Babbo me dit que les échanges entre cap corsins et toscans étaient fréquents. Ils venaient travailler dans les champs ou pour le charbon de bois et nous quand il fallait aller à l’hôpital ou étudier à l’université, c’est à Pise qu’on se rendait. Tout naturellement.
Quand je suis ici, ça ne rate jamais. J’ai la bougeotte. Les mers, Méditerranée, Ligure, Tyrrhénienne, m’appellent ; comme elles en ont attiré tant d’autres avant moi. Les cap corsins ont navigué sur toutes les mers, fondé des comptoirs pour exploiter le corail, au Maghreb. À partir de 1800, beaucoup sont partis aux Amériques, à Porto Rico, au Venezuela et certains ont fait fortune dans la culture du café. Revenus sur leur terre ils ont construit ces grandes maisons que l’on appelle maisons d’américains et aussi ces incroyables tombeaux. J’irai bientôt à San Juan voir mon cousin Enrique, vivement les vacances !
Et me voilà enfin au moulin Mattei, comme à l’aboutissement d’une longue marche, l’une des plus belles récompenses de mon parcours. L’air y était doux, l’endroit accueillant, et le soleil, lentement, s'effaçait aux yeux du monde, annonçant la fin du jour. Voir l’astre se coucher à l’extrémité nord de la Corse, alors que nous avions entamé notre voyage à son opposé, avait la connotation d’une victoire symbolique : nous avions bel et bien traversé la Corse entière, mais il nous restait tant à découvrir.
Dans ce paysage presque irréel, je ne savais plus distinguer où finissait le ciel, où commençait la mer. À l’horizon, les deux se mêlaient dans une étreinte mutuelle, comme s’ils ne formaient plus qu’un seul et même être. Le moulin Mattei, la sainte Dévote et le grand cairn semblaient être les maîtres incontestés de ce lieu. Enfin… pas exactement. Le cairn n’a pas toujours été là, il n’a ni la symbolique ni la légitimité des deux autres. Les gens l’ont érigé peu à peu, pierre après pierre, à cet emplacement précis, comme si le moulin Mattei représentait l’ultime étape d’un voyage, et qu’il fallait marquer ce passage par un cairn gigantesque.
Extrait du journal d'un montagnard #