Archipel des Sanguinaires

Publiée le 28/09/2025
Nous y voilà, mon dernier haut lieu, avant le retour dans mes montagnes de cœur, les Pyrénées. Je découvre la figure de proue d’Ajaccio : l’archipel des Sanguinaires, cet archipel emblématique que l’on aperçoit en premier en débarquant de ce ferry, qui bientôt me reconduira chez moi

Il faut savoir quelque chose : je pensais que l'île était beaucoup plus grande et plus longue à parcourir. Nous ne disposions que d'une heure pour en faire le tour, alors je me suis mis dans la tête que je devais courir. Quelle grossière erreur…

D'abord, j'ai dû paraître ridicule aux yeux des autres visiteurs : voir un homme se ruer vers le phare dès le débarquement n’est pas commun. Mais ensuite, il y avait clairement le temps de tout faire en marchant.

Et puisque l'île, couverte de maquis, n'offrait pas beaucoup de sentiers, j'ai dû rapidement en chercher d'autres pour ne pas m'ennuyer après avoir fait le tour, un peu de hors piste qui n'a pas été très concluant ! Malgré tout, ça restera un bon souvenir : être capable de courir le long d'une île en moins d'une heure après 30 jours de marche, j'en tire une certaine fierté !

Aussi, paraît il que l'île est envahie de rats noirs, une espèce invasive qu'un bateau aurait amenée il y a longtemps. Ils survivent en mangeant les œufs d'oiseaux et les petits oiseaux quand l'occasion se présente… de sales bêtes !

Mais je n'en ai croisé aucun. Mon père, lui, en allant jusqu'au sémaphore abandonné de l'île, en a vu un tout gros et boudiné qui bloquait l'unique passage en s'étendant devant lui. Il voulait lui donner un coup de pied mais y a renoncé, qu'il est gentil, mon père ! À la place, il l'a simplement poussé avec le pied, et le rat a roulé sur lui, tombant sur le côté, s'avouant vaincu. Mon père est ressorti de cet affrontement sain et sauf… en plus d'être victorieux !

Plus sérieusement, ce rat doit être bien vieux, peut-être le doyen de l'île. Peut-être est-il responsable de la propagation des jeunes générations. En tout cas, à son âge avancé, il n'a même pas cherché à fuir : ça, c'est pour les jeunes ! Peut-être que dans leur instinct, ils savent quand leur heure est proche et qu'il est temps de partir, peut-être pour ça qu'il reste impassible devant la menace sans lutter.

Extrait du journal d'un montagnard #

l'île sanguinaire depuis la mer
l'île sanguinaire depuis la mer

l'origine du nom de l'archipel Sanguinaire, perdu à travers le temps

La pointe de la Parata, qui s’avance fièrement sur la côte nord d’Ajaccio, se termine par un chapelet de quatre îles légendaires, connues sous le nom des Îles Sanguinaires — ou, en corse, Ìsuli Sanguinarii. Ces îles ne sont pas seulement un emblème géographique d’Ajaccio, elles sont aussi un témoin fascinant d’une histoire millénaire. Nous visiterons Mezu Mare que j'appelle souvent île sanguinaire, car elle constitue la seule île digne d'intérêt dans cet archipel pour des visiteurs, les autres n'étant qu'un amoncellement de petits rochers stériles et sans végétation dépassant à peine de la mer.

Le site est déjà répertorié sur les cartes dès 1200, bien avant même la naissance de la ville d’Ajaccio. Plusieurs théories expliquent l’origine de leur nom. Certains avancent que les roches de l’archipel prennent, au moment du coucher du soleil, une teinte rouge flamboyante, comme si elles saignaient sous la lumière du soir. D’autres suggèrent que ce nom viendrait de la présence des pêcheurs de corail qui, depuis des siècles, trouvaient refuge entre ces îles et y exerçaient leur métier périlleux. Certains qu'elles auraient écopées de ce nom en référence aux sangs séchés de nombreux malheureux sur leurs rochers après tant de naufrages, mais l'hypothèse la plus probable demeure celle du nom de ces îles qui annoncent la direction du golfe de Sagone. Des cartes géographiques anciennes font mention des îles « Sagonnaires » (isule sagunarie) nommées par l'évêché de Sagone.

La côte et le phare
Le phare
Phare des sanguinaires
Vue du phare sur la pointe de la parata, la corse et le reste de l'archipel
Vue de l'île depuis le phare
Panorama depuis le phare

Le premier phare de Corse fût il le phare d'un poète ?

On raconte que ce phare aurait été le tout premier terminé sur l’île. Petit hic : il revendique ce titre en même temps que le phare de Pertusato, tous deux érigés en 1838. Alors, si les archives officielles ne sont pas d’accord entre elles, je préfère ne pas trancher : débrouillez vous avec cette querelle d’historiens, moi je me contente de transmettre l’info !

Architecturalement, le phare est comme la grande majorité des autres en corse, composé d'une tour carrée en maçonnerie lisse peinte en blanche, avec pour particularité d'avoir des machicoulis, comme un château fort, voilà, c'est assez marquant, il est doté d'un portail avec des volets en arc plein cintre fait de bois peints en bleu, tout ceci posé au centre d’un bâtiment rectangulaire qui évoque presque une petite forteresse médiévale. Une allure sobre mais identitaire à la Corse ! Cependant, comme tous les autres, le phare semble aujourd'hui être automatisé, je n'aimerai pas voir l'état de l'intérieur...Trois gardiens travaillaient dans ce phare jusqu’à son automatisation en 1985, ça devait être amusant !

Il reçut un illustre écrivain en son sein : Alphonse Daudet, qui y écrivit dans les lettres de mon moulin, 1869. « Figurez-vous une île rougeâtre et d’aspect farouche ; le phare à une pointe, à l’autre une vieille tour génoise où, de mon temps, logeait un aigle. En bas, au bord de l’eau, un lazaret en ruine, envahi de partout par les herbes ; puis, des ravins, des maquis, de grandes roches, quelques chèvres sauvages, de petits chevaux corses gambadant la crinière au vent ; enfin, là-haut, tout en haut, dans un tourbillon d’oiseaux de mer, la maison du phare, avec sa plate-forme de maçonnerie blanche, où les gardiens se promènent de long en large, la porte verte en ogive, la petite tour de fonte et au-dessus la grosse lanterne à facettes qui flambe au soleil et fait de la lumière même pendant le jour…

Voilà l’île des Sanguinaires, comme je l’ai revue cette nuit, en entendant ronfler mes pins. C’était dans cette île enchantée qu’avant d’avoir un moulin j’allais m’enfermer quelquefois, lorsque j’avais besoin de grand air et de solitude ».

Vue du sémaphore et des ruines
Vue du sémaphore
Vue du phare depuis sémaphore
Vue du phare depuis sémaphore
Vue du sémaphore

Le vieux sémaphore abandonné

Il n’y a finalement pas énormément de choses à raconter à son sujet : ce sémaphore avait pour rôle principal la surveillance du golfe et du trafic maritime alentour. Il resta en service pendant près d’un siècle, avant d’être remplacé par le sémaphore de la Parata, construit plus près de la pointe et d’Ajaccio, sémaphore doté du premier observatoire de Corse, il convient de le noter !

La raison de ce déplacement est assez simple : malgré la proximité de la côte, l’accès à l’archipel des Sanguinaires s’est toujours révélé compliqué. Les courants y sont traîtres, la mer capricieuse, et il est loin d’être possible d’y débarquer par tous les temps. En conséquence, rejoindre ce sémaphore relevait parfois du casse-tête logistique, ce qui compliquait considérablement les missions militaires et maritimes.

Le nouveau sémaphore, plus accessible et plus pratique, permit donc d’assurer une surveillance efficace et continue, là où son prédécesseur dépendait un peu trop des humeurs de la mer.

Vue du phare depuis sémaphore
Vue de la tour paoline depuis sémaphore

La tour de Castelluccio

La date exacte de construction de cette tour demeure incertaine et alimente bien des hypothèses. Certains avancent qu’elle aurait été édifiée sur les ruines d’une tour antique, héritage possible des Grecs, des Romains, voire même des Phéniciens. D’autres estiment au contraire que la structure serait un vestige du lazaret.

Quoi qu’il en soit, la seule mention avérée figure sur le plan Terrier de 1770, celui qui, souvenez-vous, avait débuté à Tollare. Un maigre indice, mais suffisant pour confirmer qu'elle préexistée au lazaret.

Particularité intéressante : cette tour ne fait pas partie du réseau classique des tours génoises qui, un peu partout sur le littoral corse, constituaient une ligne de défense contre les envahisseurs. Pourtant, son architecture trahit bien une vocation défensive : sa porte surélevée est surmontée d’une bretèche* — sorte de petit balcon fortifié dont le plancher percé permettait de jeter des projectiles sur les assaillants tentant de forcer l’entrée. Et par sa simplicité, je serai amener à croire aux hypothèses d'une tour antique sans doute reconstituée.

Vue de la pointe de l'île
Vue phare depuis ruine confinement

Les ruines du premier lazaret de corse

A la fin du XVIIIe siècle, Ajaccio n’a pas de lieu de quarantaine pour ses marins et, à partir de 1790, la construction d’un lazaret dans le golfe d’Ajaccio est envisagée

Le corail est alors une des principales ressources économiques de la région mais, en 1774, la pêche autour de la Corse en est interdite. Les pêcheurs insulaires, livrés à eux-mêmes et craignant de perdre leurs revenus, s’engagent dans la Compagnie Royale et Perpétuelle d’Afrique pour avoir le droit d’aller pêcher plus loin, au large de l’Afrique du nord et sont ainsi éloignés de l’île la moitié de l’année. A leur retour chaque année, des problèmes sanitaires se posent car ils sont obligés de faire des escales pénibles en quarantaine à Marseille, Livourne ou Gênes avant de rentrer en Corse.

Comme pour la plupart des actions visant à améliorer la salubrité et la santé dans Ajaccio et ses environs, il faut attendre l’arrivée de Napoléon au pouvoir pour assister à de nouveaux aménagements. Ainsi, dans les premières années du XIXe siècle, le site d’une des îles des Sanguinaires est choisi pour la construction du lazaret et le bâtiment est inauguré en août 1807.

Ce lazaret pouvait accueillir jusqu’à 80 gondoles de corailleurs qui étaient tirées jusqu’à l’intérieur sur de grands madriers puis installés sur cales. Les conditions de vie et d’hygiène y étaient rudimentaires, les pêcheurs devaient notamment vivre à plusieurs dans leur embarcation sur cales : Ce qui était absolument indécent, quand on sait la facilité avec laquelle se propage les maladies dans un bateau, finalement ce lazaret servait avant tout d'avant poste afin de protéger la santé publique d'Ajaccio.

Entre 1807 et 1847, le lazaret ne fonctionnera toutefois que pendant 9 ans. Pendant ces neuf années, un concierge, un chirurgien, un infirmier et un inspecteur sanitaire surveillaient les marins durant quarante jours afin de s’assurer qu’ils ne soient pas atteints de maladies contagieuses telles que la peste, le choléra, ou les fièvres de Malte.

L’histoire du premier lazaret de Corse, voulu et construit par Napoléon Ier, est tragique, trop difficile d’accès et battu par les tempêtes, l’établissement est progressivement laissé à l’abandon. Il ferme ses portes une première fois en 1820 puis, définitivement en 1822.

Panorama de l'île depuis sémaphore
Panorama de l'île depuis croisée des chemins
Vue côte entre phare et sémaphore
Vue du sémaphore depuis la mer
Mon père et moi prêt à retourner chez nous
0 commentaire

1 Voyage | 81 Étapes
Îles Sanguinaires, Ajaccio, France
32e jour (31/08/2025)
Étape du voyage
Début du voyage : 31/07/2025
Liste des étapes

Partagez sur les réseaux sociaux