- Vous entendez les bribes de mémoire de quelqu'un ayant vécut ici, s'étant tenu debout à votre place en ces lieux :
Moi, Vincentello II, héritier des Avogari de Gentile, dernier de ma lignée à exercer la souveraineté familiale sur la région, je hante encore ces lieux tant aimés. C’est au 11e siècle que mes aïeux venant de Gênes ont fait souche à Nonza. Sur ce rocher, ils ont bâti un château que la République de Gênes détruit au 15e siècle. Plus tard, dans sa guerre contre le royaume de France, Pascal Paoli construit, sur ces ruines dominant la mer, cette Tour dite « Paoline ». Suivez-moi et chemin faisant vous en saurez plus sur ce site chargé d’histoire.
De l’autre côté du golfe « les Agriate », territoire sur lequel s’exerce aussi ma souveraineté. Longtemps mes sujets ont traversé ce bras de mer pour aller cultiver, de part et d’autre du « Monte Genova », des terres plus fertiles capables de leur apporter le complément en céréales nécessaire à la vie de la communauté. Au premier plan, ces ruines sont celles de la « Sassa » qui devint, après la destruction du château par Gênes, la résidence de ma famille. C’est ici, entre 1523 et 1624, que votre seigneur et guide a vécu.
Nonza est appelé « castrum Nunsae », l’annonciateur. C’est de ce site que l’on donne l’alerte dès qu’une voile suspecte pointe à l’horizon. Je combattais alors les barbaresques qui accostaient sur notre rivage et cette place forte était réputée imprenable. Mais nous étions surtout des marins. Notre flotte est composée d’esquifs armés pour la pêche, de gondoles pour le petit cabotage et de tartanes, boeufs et bombardes destinés au commerce avec « la terre ferme ». D’ici, il m’arrive d’apercevoir, après un coup de « libecciu », le sommet enneigé des Alpes.
Au pied du « monte Cucaru », je vois la carrière de la Société Minière d’Amiante de Canari, exploitée de 1941 à 1965 et je suis autant admiratif qu’inquiet sur la capacité de l’homme à faire et à défaire en si peu de temps. En 1960, il a extrait un million de tonnes de serpentine pour 20000 tonnes d’amiante. La serpentine de couleur grise rejetée à la mer comblera les criques, créant ainsi des plages artificielles. On trouve des grenats de toutes couleurs, des verts en particulier. Aujourd’hui, si la « Marina » a disparu, le paysage est toujours aussi grandiose.
C’est au 11e siècle que les habitations se regroupent autour de « Petra sacra ». Pour se soustraire aux razzias, Sur les routes, vous pouvez voir que le village d’antan, avant de peu à peu se regrouper sur le promontoire rocheux, était gigantesque : il s’étendait des hauteurs jusqu’au fond de la plage. Aujourd’hui, il n’en reste que des ruines de fondations et de murets de pierre taillée, rongés par la mousse. la population se place sous la protection de ma famille et cherche d’abord refuge dans l’enceinte de la forteresse. Au fil des ans, j’ai vu le village aux toits de lauzes s’étendre et épouser les courbes du relief. J’ai vu aussi les foules venir de toute la Corse pour implorer Sainte Julie dans l’église qui lui est consacrée et qui renferme ses reliques. Implantée avant le 14e siècle, cette ancienne église piévane prend sa forme actuelle à la fin du 19e siècle.
Au gré des incursions sarrasines, avant l’implantation de ma famille, la population partage son habitat entre littoral et montagne. Elle se réfugie sur les hauteurs, dans l’ancien hameau de « Teghia ». En 503, Sainte Julie est martyrisée sur l’emplacement de la chapelle actuelle dans laquelle coule la source miraculeuse. Autour de ce lieu sacré, les jardins familiaux en terrasses assurent revenus et légumes. Au 19e, la culture du cédrat, son exportation depuis les « magazzini » de la marina, a fait la fortune de nombreuses familles de Nonza.
Au loin, le golfe de Saint Florent, là, nos marins trouvaient un point d’ancrage sûr. En contrebas, le sentier côtier où les moines mendiants cheminaient jusqu’au couvent « San Francescu » érigé au 13e siècle. Le 24 août 1768, c’est par cette voie, après que le navire la « Sagittaire » ait bombardé tout le jour le village, qu’une colonne du général Grand Maison se présenta devant la tour. Le Paoliste Jacques Casella, seul face à l’assaillant, offrit une héroïque résistance. Les troupes françaises lui présentèrent les armes pour rendre hommage à son acte de bravoure.