Lac de Creno et chapelle Sant'Eliseu

Le lac de Créno, un sanctuaire au creux de la montagne

Le lac de Créno occupe une cuvette régulière à fond plat perchée sur une crête, au pied du mont Sant’Eliseu. Ce lac présente de nombreuses particularités. Il est avant tout le plus bas des lacs montagneux de Corse, ce qui lui vaut d’être situé dans une ambiance forestière. De ce fait, il abrite aussi bien des populations d’oiseaux d’eau comme le grèbe, la poule d’eau, que des espèces typiquement forestières comme la sittelle, le bec-croisé, le grimpereau des bois.

Par ailleurs, il héberge un florilège d’espèces végétales à forte valeur patrimoniale : la droséra à feuilles rondes, une petite plante carnivore rare qui ne pousse qu’aux alentours de ce lac, sur ces pozzines ; les laîches vésiculeuses, des sortes d’herbes hydrophiles très hautes dans lesquelles les sittelles et les poules d’eau aiment se dissimuler lorsqu’elles chassent ; et le millet.

Le lac de Créno abrite en effet des pozzines (u pozzi en corse, qui signifie « puits d’eau »). Les pozzines sont des pelouses humides établies sur des sols tourbeux. Ces zones humides des hautes montagnes corses sont reconnues par la directive européenne "Habitats" en raison de la grande biodiversité qu’elles renferment. Les pozzines du lac de Créno sont remarquables, notamment en raison de la présence d’espèces végétales rares et protégées.

Trois espèces ont été introduites sur le site : les nénuphars à fleurs rouges, les nénuphars à fleurs blanches et les roseaux. Ces espèces se sont parfaitement acclimatées, et l’image des nénuphars est aujourd’hui étroitement associée à celle du lac, puisqu’avoir des nénuphars dans un lac de montagne est une originalité plutôt rare.

Plusieurs légendes existent autour du lac de Creno, c'est un lieu chargé de spiritualité depuis des générations, il n'y a qu'à voir la chapelle qui domine l'un des sommets accessible en s'enfonçant dans la forêt de pins Laricio qui entoure le lac : ''Peut-être en raison de l'aura énigmatique des grands arbres sombres qui l'entourent, la légende raconte que le diable aurait trouvé refuge au fond du lac de Creno. Il s'y serait caché pour échapper une fois de plus à son grand adversaire, saint Martin. Cependant, un saint homme, par ses prières, aurait fait tarir les eaux du lac, forçant ainsi le diable à fuir. Après la fuite du diable, l'intervention divine se serait manifestée par le retour des eaux dans le lac.''

La chapelle Sant'Eliseu, lieu de culte dominant le lac

La chapelle Sant’Eliseu a donné son nom au sommet sur lequel elle se situe, le Monte Sant’Eliseu, qui se dresse fièrement au-dessus du lac de Créno, le surplombant de toute sa grandeur. Dans cette chapelle, on rend hommage à Élisée dans la Bible. Il serait toujours vénéré sur des lieux en hauteur, probablement car il est l’un des prophètes dénonçant le culte de Baal, culte d’une bête à cornes, à l’image d’un taureau, qui est un culte païen, populaire en Egypte depuis le Nouvel Empire vers 1400 avant J.C. ayant pour spécificité d’être lui aussi érigé dans des hauts lieux. Il est ainsi possible que ce lieu, avant d’être un sanctuaire chrétien, fût un sanctuaire païen, voire préhistorique, qui aurait été christianisé.

Sant’Eliseu aurait vécu au VIIIe siècle av. J.-C. en Israël. Il est le successeur du prophète Élie. Dans la Bible, il est décrit comme un riche agriculteur, occupé à labourer avec douze paires de bœufs, lorsque Élie lui jeta son manteau, le désignant ainsi comme son successeur.

Alors que je cheminais sur ces sentiers en quête du lac tant convoité, je dus m’enfoncer dans une épaisse forêt de pins laricio. Jamais je n’avais vu des pins de cette taille et de cette couleur : au bas mot trente-cinq mètres ! L’air y était doux, pas humide, juste doux, une légère brise qui vivifiait le corps et l’esprit dans ce mois d’août à la chaleur infernale.

Après une trentaine de minutes dans cette atmosphère sylvestre, le lac se révéla enfin. Rarement avais-je vu un lac d’une telle beauté : d’un noir profond à mes yeux, presque impossible à refléter. Pour moi, cette couleur le rendait resplendissant ; pour le paysage, elle lui donnait une noirceur impénétrable, accentuée par l’ombre des pins géants qui formaient autour de lui un cocon protecteur, comme l’orée d’un sanctuaire inviolable.

Cette noirceur contrastait violemment avec les tapis de pozzines qui l’entouraient, véritables parterres de végétation luxuriante, d’un vert splendide. Ici et là, des nénuphars rouges, certains en fleurs, tandis que de grands roseaux abritaient une petite poule d’eau, se glissant furtivement pour disparaître je ne sais où.

Après avoir bien mangé et repris des forces, l’appel de la chapelle se fit sentir. Il fallut grimper encore, à travers bois, et une fois au sommet, quelle récompense : une petite chapelle sommaire, véritable havre de paix montagneux. Entre le lac de Creno et la chapelle Sant’Eliseu, chaque recoin respirait la sérénité et la beauté naturelle, des lieux à voir absolument pour qui cherche à se plaire dans une montagne douce et non austère.

Je ne saurais l’expliquer, mais venant des Pyrénées, habitué aux montagnes austères qui se méritent, je n’avais presque jamais ressenti une telle impression de paix qu’allongé à l’ombre de ces pins, non loin de ce petit lac impénétrable. Je me sentais protégé, enveloppé par le silence, chaque pin, chaque reflet sombre sur l’eau, chaque roseau bruissant au vent, formait un sanctuaire intime à mon cœur où le monde extérieur semblait s’évanouir.

Extrait du journal d'un montagnard #